Rapport suisse du 1er juillet 1999 - Des réactions et des commentaires en Suisse
Deux articles du quotidien "Le Temps" du 3 juillet 1999. Voir aussi commentaire de Massimo Introvigne en anglais ou en italien.
I.Un rapport sur les sectes demande au Conseil fédéral de prendre des mesures
Denis Masmejan
Le Conseil fédéral est sommé, cette fois, de réagir. La pression insufflée par la commission de gestion du Conseil national, qui a rendu public vendredi un rapport sur les sectes réclamant une politique fédérale en la matière, sera-t-elle suffisante? Ce n'est pas absolument certain. Car le gouvernement a déjà eu l'occasion à plusieurs reprises d'afficher son scepticisme en la matière. Et les réactions des quatre départements fédéraux consultés préalablement par la commission laissent présager de sérieuses divisions.
Tandis que les secrétaires généraux de l'Intérieur et des Affaires étrangères se déclaraient nettement positifs, celui de Justice et Police se montrait un peu moins chaud. Au Département fédéral de la défense (DDPS), en revanche, le ton était tranchant: les mesures proposées seraient "inutiles, trop chères, n'apportant rien de nouveau", a indiqué la secrétaire de la Commission de gestion, Mariangela Wallimann-Bornatico. Le secrétaire général du DDPS n'était pas atteignable vendredi pour confirmer ces aimables commentaires.
Harmoniser les pratiques cantonales
Le Conseil fédéral est appelé à "élaborer une politique en matière de sectes", et à créer en particulier un service d'information et de consultation. Le gouvernement "informe le public régulièrement" et encourage "une recherche disciplinaire sur les mouvements endoctrinants". Il veille à ce que les lois soient mieux respectées, en particulier celles qui protègent les enfants et les consommateurs. Enfin, il s'attache à harmoniser les pratiques des cantons sur l'exercice de la médecine. Telles sont les recommandations que la commission adresse au gouvernement fédéral. Celui-ci est invité à prendre position d'ici à l'automne 2000.
La commission s'est en réalité autosaisie de la question. Son président, le socialiste bernois Alexander Tschäppät, n'a pas caché devant la presse son agacement face à la "passivité" du Conseil fédéral. Jusqu'ici, l'attitude officielle du gouvernement consistait essentiellement à invoquer la liberté de conscience et le fédéralisme pour justifier sa retenue. Une position que la commission juge aujourd'hui dépassée: le phénomène des sectes "a des effets sociaux et politiques importants qui, contrairement à la pratique actuelle qui trouve ses origines dans l'histoire, obligent l'Etat à prendre clairement position", souligne le rapport de la commission, adopté à l'unanimité.
Le service d'information devrait permettre au public d'obtenir des données les plus objectives possibles pour faire contrepoids aux informations diffusées par les sectes elles-mêmes. La commission souhaite permettre ainsi "une discussion engagée mais objective sur les groupes endoctrinants leurs méthodes et les dangers qu'ils présentent." Ce service devrait être national mais ne pourrait être réalisé qu'en collaboration avec les cantons.
D'une manière générale, la commission juge les lois actuelles suffisantes pour lutter contre les dérives sectaires et que, de toute manière, ce n'est pas d'abord sur le terrain législatif qu'il faut agir. Elle suggère néanmoins quelques adaptations, essentiellement préventives, tout en soulignant que les efforts doivent surtout tendre vers une meilleure application des normes en vigueur. Le rapport rappelle à cet égard que le Tribunal fédéral a déjà légitimé des mesures de protection des mineurs lorsque l'enseignement "privé" qu'ils suivent ne leur transmet pas les contenus indispensables pour leur intégration sociale. La commission propose par ailleurs une réglementation des contrats visant une meilleure "protection des consommateurs de l'assistance spirituelle". Ceux-ci comprendraient notamment des conditions de validité particulières, un droit de révocation et un devoir d'information sur les risques encourus. Les promesses douteuses de guérison, qui sont monnaie courante dans certains mouvements sectaires, ont également amené à la commission à exiger des mesures.
Malgré l'obstacle fédéraliste, la Confédération devrait pouvoir coordonner les législations cantonales sur la santé et l'exercice de la médecine ou de professions paramédicales. L'Etat fédéral serait chargé de fixer des lignes directrices tenant compte des abus possibles.
II. Une loi contre les sectes?
Denis Masmejan
Personne ne s'opposera à la création d'un service fédéral d'information sur les sectes. L'initiative préconisée par la Commission de gestion du Conseil national répondrait à des inquiétudes parfois très vives dans l'opinion. Et le Conseil fédéral donnerait par la même occasion l'impression d'avoir une politique en la matière. On voit d'ailleurs mal qui pourrait contester a priori le besoin d'en savoir plus sur les sectes, du moins ce qu'il est convenu aujourd'hui de considérer comme telles et où risquent de figurer pêle-mêle des mouvements aussi peu comparables que la Scientologie, l'Opus Dei, les Darbystes ou les Antroposophes.
C'est l'une des ambiguïtés d'une démarche dont la nécessité s'est surtout imposée comme réponse aux abus avérés des scientologues et aux délires mortifères de l'Ordre du Temple solaire. La question de savoir si la réaction de la société à ces dysfonctionnements évidents peut être étendue sans autre précaution à toute forme d'organisation qualifiée de sectaire selon des critères pour le moins flous, reste pourtant pleinement ouverte.
La répression des dérives sectaires est légitime. Mais il ne faut pas en attendre ce qu'elle ne peut offrir. Quelques articles de loi n'empêcheront jamais des illuminés de s'enlever la vie. On mettra donc au crédit des membres de la commission d'avoir renoncé à enrichir l'arsenal pénal de nouvelles dispositions.
Faut-il aller plus loin? Dans un domaine aussi délicat que la liberté de pensée, les diverses suggestions émises dans les cantons et désormais au niveau fédéral, si bien intentionnées soient-elles, n'échappent pas toujours aux pièges qui les guettent. A la volonté de contrôler ce qui, dans la conscience des citoyens, n'obéit pas à un modèle intellectuel, éthique et spirituel relativement étroit, on peut préférer une société qui compose sans s'en effrayer avec les délires de ses contemporains.
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