Une critique du rapport 2000 de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Sectes (MILS), en France

par Massimo Introvigne

Voir le texte complet du rapport

La Mission Interministérielle française de Lutte contre les Sectes a remis, le 7 février 2000, son rapport d’activité. Selon la presse française, il a fait plusieurs allers et retours entre la MILS et le bureau du Premier Ministre, car la Mission traverse des dissensions internes et une vague de critiques à l’encontre de son président, Alain Vivien. Le rapport confirme que la Mission traverse une crise. Les " résultats " obtenus sont en effet modestes. Pour une grande part, la Mission a conduit une campagne de propagande, en coopération étroite avec différentes administrations et ministères et avec des mouvements anti-sectes privés. Du côté politique, peu de choses ont été accomplies. " Si le rapport de 1999 a préconisé une infraction de " manipulation mentale ", force est de constater que cette proposition n’a appelé en l’état aucun commentaire de la part des pouvoirs publics." Le projet de loi du Sénateur About (un membre du conseil d’orientation de la Mission), permettant au gouvernement de dissoudre nombre d'organisations, visant surtout les " sectes ", a été voté à l’unanimité par le Sénat, mais a rencontré nombre d’objections de la part du gouvernement (et, semble-t-il, à l’intérieur de la Mission elle-même). La Mission propose de dissoudre deux organisations : l’Ordre du Temple Solaire et l’Eglise de Scientologie. En ce qui concerne le premier, la Mission reconnaît qu’il est possible qu’il n’existe pas en tant que corps constitué en France, mais suggère qu’un " groupement de fait " peut être dissout. Outre les problèmes légaux impliqués, l’impact d’une dissolution de l’ Ordre du Temple Solaire, en tant que groupement de fait, est douteux. Le Japon lui-même a décidé de ne pas dissoudre Aum Shinri-kyo, mais de le placer sous surveillance. " Dissoudre " le Temple Solaire, comme le prouve l’incident de 1997 au Québec, ne dissuaderait pas les (anciens) membres, toujours persuadés qu’un suicide rituel les conduirait à un meilleur état d’existence, de se suicider. Les Templiers qui se sont suicidés au Québec en 1997 n’ont pas eu besoin d’une structure légalement constituée pour accomplir leur action tragique. En fait, la " dissolution " du Temple Solaire est simplement proposée comme une tentative symbolique désespérée de sauver l’idée générale que les " sectes " peuvent être dissoutes par un simple décret gouvernemental. La Mission pense que personne ne défendra le Temple Solaire. Et, une fois que le principe est établi pour le Temple Solaire, il sera appliqué à l’Eglise de Scientologie et à d’autres organisations. En ce qui concerne la Scientologie, le rapport mentionne de façon curieuse la plupart des mêmes citations de L. Ron Hubbard et des mêmes incidents, présentés dans le Rapport Suisse de 1998 sur la Scientologie, pour en arriver à une conclusion opposée. La Mission est également bien confuse au sujet du Temple Solaire. Elle souligne que certains " spécialistes " (entre guillemets) qui auraient prétendu que " l’attention grandissante des pouvoir publics " aurait été la cause de tragédie sont des gens "que la chronologie des faits ne troublent [sic] aucunement ". En fait, aucun " spécialiste " n’a prétendu que l’hostilité publique était la cause unique des suicides et des homicides. Plutôt, à la fois Jean-François Mayer et le sousigné ont prétendu que la perception d'une hostilité publique par le Temple Solaire (ce qui est différent de l’hostilité en soi-même) peut avoir joué un rôle, parmi d’autres causes, dans la tragédie. Cette perception fut amplifiée par l’arrestation des membres canadiens du Temple, par une enquête de police internationale et par le refus des autorités françaises de renouveler le passeport de l’épouse du leader, tous ces événements ayant évidemment pris place avant les premiers suicides-homicides de 1994. C’est donc la Mission, et non les " spécialistes ", qui se révèle coupable d’ignorer la chronologie.

La chronologie n’est pas la seule chose que la Mission ignore. Elle propose une définition de " secte ", qu’elle présente comme faisant presque à l’unanimité parmi " les observateurs les plus divers du comportement sectaire, qu’il s’agisse de psychiatres, d’universitaires, de rapporteurs des commissions d’enquêtes parlementaires ou même de religieux. " Une " secte ", selon cette définition est " une association de structure totalitaire, déclarant ou non des objectifs religieux, dont le comportement porte atteinte aux Droits de l’Homme ou à l’équilibre social ". Ce serait, peut-être, une bonne définition de la Mission elle-même. Mais seule une poignée d’ " universitaires " l’accepterait comme une définition de " secte " alors que parmi les " rapports parlementaires " le rapport allemand de 1998 indiquait explicitement qu’aucune définition de " secte " n’est possible. Le terme clé est ici " totalitaire " et une association " totalitaire " est une association où les leaders ne sont pas " susceptibles de destitution par des voies démocratiques ", ne sont pas élus par la majorité des membres et guident des associations où " toute contestation de la doctrine est interdite ". Une fois de plus, les chasseur de sectes français ne savent pas fournir des critères qui pourraient faire la différence entre une véritable " religion " et une méchante " secte ". Dans l’Eglise Catholique, le Pape n’est pas " susceptible de destitution par des voies démocratiques ", n’est pas élu par la majorité des catholiques et possède le pouvoir ultime de définir la doctrine qui ne peut pas être contestée, sauf, à l’extrème, quitter l’Eglise. Ceci est aussi vrai pour d’innombrables autres organisations religieuses.

Les critères additionnels introduits n’aident pas davantage. Il y a une longue discussion (et tout un chapitre séparé) sur l’ " infiltration " de l’économie et du monde des affaires comme la marque distinctive des " sectes ". Ceci est, toutefois, une pure tautologie : c’est parce que les " sectes " ont d’abord été définies comme " mauvaises " que la participation de leurs membres dans le monde des affaires est une " infiltration ". Les mêmes activités économiques conduites par des membres de religions non " sectaires " ou par la franc-maçonnerie française (dont les récents scandales font les couvertures des principaux magazines français ces dernières semaines, et qui est bien représentée au sein de la Mission) ne sont pas considérées comme une " infiltration ".

Du critère-clef du premier rapport français sur les sectes en 1996, de " déstabilisation mentale " (en fait, lavage de cerveau), on nous dit maintenant qu’il est " intéressant, mais présente en l’état de la science un caractère subjectif peu commode à manier en droit." (C’est peut être la raison pour laquelle la proposition du rapport de 1999 de créer une nouvelle infraction de manipulation mentale n’a pas été prise au sérieux par les hommes politiques.) Un critère supplémentaire est aujourd’hui proposé sous la forme de la " parité homme-femme " : " Admettre que des groupes se disant religieux puissent professer une non parité (…), serait un manquement grave aux droits de l’homme ". A nouveau, ce test est inutilisable pour distinguer les religions des " sectes " puisque les deux plus importantes religions en France, le Catholicisme et l’Islam, sont souvent précisément accusées de " professer une non parité ", souvent dans des termes plus forts que les " sectes ".

Une section importante du rapport de la MILS est consacrée aux problèmes internationaux de la France. C’est un texte incroyable, où un anti-américanisme grossier et le nationalisme sont proposés comme de pauvres substituts à une argumentation logique. Le rapport est désobligeant et critique, à l’égard du Département d’Etat américain, de la législation américaine sur la liberté de religion et des enquêtes du Congrès américain sur la liberté religieuse en France, les considérant comme partie d’une vaste conspiration pro-sectes, impliquant également l’OSCE (l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe). La Mission est apparemment fière de sa participation à la rencontre de l’OSCE de Vienne en mars 1999, où la réaction hystérique de M. Denis Barthélémy, secrétaire de la Mission, a exposé la M.I.L.S. à de sévères critiques internationales. Le rapport continue en blâmant la " mise en accusation de la France " lors de cette rencontre, du fait de " la participation des sectes ", alors que les critiques les plus vives ne venaient pas des mouvements religieux, mais des rapporteurs généraux nommés par l’OSCE pour lancer le débat (l’un d’entre eux étant le soussigné.) Le rapport proteste également contre l’audience du CSCE à Washington le 8 juin 1999, dont il récuse les témoignages, les estimant émaner de membres de sectes ou de défenseurs des sectes, et objectant qu’aucun responsable officiel français n’ait été invité à proposer une réponse. Il ignore apparemment que la situation française avait déjà fait l’objet d’une réunion précédente du CSCE tenue à Washington le 30 juillet 1998 (où le soussigné était témoin). A cette réunion, les ambassadeurs des pays concernés avaient été invités, mais aucun membre de l'ambassade française n'avait jugé bon de participer à ce briefing.

Mis à part son grossier anti-américanisme, le seul argument de la Mission est que l’Amérique semble au moins être divisée sur ce sujet : en effet, le même M. Barthélemy (secrétaire de la Mission) a été invité aux conférences annuelles de la American Family Foundation, à la fois en 1999 et en 2000. Il est évident que l’American Family Foundation (un organisme anti-sectes privé) peut difficilement être située au même niveau que le Congrès américain ou le Département d’Etat. Cette Fondation a récemment essayé de prendre ses distances avec les formes les plus extrêmes de l’anti-sectarisme. Peut-être devrait-elle sérieusement reconsidérer sa liaison dangereuse avec M. Barthélemy, et regarder si celle ci ne la situerait pas précisément dans la frange la plus extrême de la lutte anti-sectes. La Mission pourrait bien faire partie de cette mouvance, si on observe les deux éléments suivants : d’une part, ses attaques répétées contre les universitaires (y compris les très moderées directeurs de l’ouvrage collectif Sectes et Démocratie, ce qui montre que la modération n’est plus une défense face à l’hystérie de la Mission) et d’autre part, son appui (voire sa participation) à la propagande anti-sectes dans les écoles publiques françaises, au travers de manuels scolaires, jugés " idiots " aux Etats-Unis, même par des critiques de sectes. A titre d’exemple, le rapport vante un manuel scolaire, comprenant les récits des pires horreurs émanant de sectes (traduction anglaise, disponible sur ce site Web). Le Pr Benjamin Zablocki, un universitaire, chef de file des théories de lavage de cerveau aux Etats-Unis, a commenté ainsi la section sur le lavage de cerveau dans ce manuel : ceci " prouve qu’il peut y avoir des idiots de chaque côté dans ce sujet. Je désavoue totalement la théorie simpliste présentée dans le paragraphe " (cité avec autorisation). Il est probablement temps que la communauté américaine d’étude des sectes décide si elle veut soutenir des documents " idiots ", un anti-américanisme primaire et l’intolérance, ou chercher ailleurs en Europe des partenaires pour un dialogue responsable, même si difficile.

Enfin, le rapport défie le ridicule, en prétendant que " partout l'expérience française est sollicitée parce que l'histoire fait de la France l'un des tout premiers pays des droits de l'homme et qu'elle dispose d'une législation particulièrement libérale qu'un siècle de pratique a validé ", que la France devrait se retirer du dialogue sur le sujet avec les Etats-Unis et devrait tenir une position ferme et être fière de son histoire, quant à la liberté religieuse.

Malheureusement, comme des tendances récentes européennes semblent le confirmer, de telles formes de nationalisme ne sont pas simplement ridicules, elles peuvent être la cause de graves manifestations de haine et d’intolérance. Le nationalisme, il faut le rappeler, n’est pas un substitut à la vérité. Il y a des cas lorsque, comme l’a dit Samuel Johnson en 1775, " le patriotisme est le dernier refuge des canailles ".


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Revised last: 10-02-2000