EUROPE-CONSEIL DE L'EUROPE *

(voir version anglaise de ce document de compromis approuvé après plusieurs discussions)

Activités illégales des sectes

Doc. 8373

13 avril 1999 - Voté le 22 juin 1999

Rapport

Commission des questions juridiques et des droits de lhomme

Rapporteur: M. Adrian Nastase, Roumanie, Groupe socialiste



Résumé

DHSF (23.06.1999) - Quelles que soient les croyances invoquées par certains groupes de caractère religieux, ésotérique ou spirituel, seules les activités menées au nom de ces croyances doivent retenir lattention.

La liberté de conscience et de religion est garantie par larticle 9 de la Convention européenne des droits de lhomme, toutefois les activités des groupes à caractère religieux, ésotérique ou spirituel doivent être en conformité avec les principes des sociétés démocratiques.

Linformation est primordiale et doit sadresser en particulier aux adolescents dans le cadre des programmes scolaires. La protection des plus vulnérables notamment les enfants dadeptes des groupes à caractère religieux, ésotérique ou spirituel, est une autre priorité.

Aussi est-il recommandé de favoriser la création de centres nationaux ou régionaux dinformation et dorganisations non gouvernementales pour les victimes ou les familles des victimes des groupes à caractère religieux, ésotérique ou spirituel et enfin la création dun observatoire européen chargé de faciliter les échanges entre les centres nationaux est demandée.

I.Projet de recommandation

1.L'Assemblée rappelle sa Recommandation 1178 (1992) relative aux sectes et aux nouveaux mouvements religieux dans laquelle elle a estimé inopportun le recours à une législation majeure pour les sectes au motif qu'elle risquerait de porter atteinte à la liberté de conscience et de religion garantie par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi qu'aux religions traditionnelles.

2.L'Assemblée réaffirme son attachement à la liberté de conscience et de religion. Elle reconnaît le pluralisme religieux comme une conséquence naturelle de la liberté de religion. Elle considère la neutralité de l'Etat et une protection égale devant la loi comme des garanties fondamentales pour éviter toute discrimination et invite donc les autorités étatiques à s'abstenir de prendre des mesures fondées sur un jugement de valeur relatif aux croyances.

3.Dans sa Recommandation 1178 (1992) elle s'est limitée à recommander au Comité des Ministres d'entreprendre des actions d'information et de formation, tant à l'égard des jeunes que du public en général, tout en demandant que la personnalité juridique soit accordée aux sectes et aux nouveaux mouvements religieux dûment enregistrés.

4.Depuis l'adoption de cette recommandation un certain nombre d'incidents graves se sont produits qui ont incité l'Assemblée à se pencher à nouveau sur le phénomène.

5.L'Assemblée est parvenue à la conclusion qu'il n'est pas nécessaire de définir ce que sont les sectes, ni de décider si elles sont ou ne sont pas une religion. Cependant les groupes désignés sous ce nom suscitent une certaine inquiétude, qu'ils se décrivent comme religieux, ésotériques ou spirituels, et cela doit être pris en considération.

6.Par ailleurs, elle estime qu'il faut veiller à ce que les activités de ces groupes, qu'ils soient à caractère religieux, ésotérique ou spirituel, soient en conformité avec les principes de nos sociétés démocratique.

7.Il est primordial de disposer d'une information fiable sur les dits groupements, qui ne provienne exclusivement ni des sectes elles-mêmes, ni des associations de défense des victimes de sectes et de la diffuser largement au grand public, après que les personnes concernées aient eu la possibilité d'être entendues sur l'objectivité de telles informations.

8.L'Assemblée réitère la nécessité d'une action spécifique d'information sur l'histoire des grands courants de pensée et des religions, visant notamment les adolescents, dans le cadre des programmes scolaires.

9.L'Assemblée attache une grande importance à la protection des plus vulnérables, et notamment des enfants d'adeptes de groupes à caractère religieux, ésotérique ou spirituel, en cas de mauvais traitements, viols, absence de soins, endoctrinement par lavage de cerveau et non-scolarisation qui rend impossible tout contrôle de la part des services sociaux.

10.En conséquence, l'Assemblée invite les gouvernements des États membres:

11.En outre, l'Assemblée recommande au Comité des Ministres

II.Exposé des motifs de M. Nastase

1.Pourquoi un rapport sur les activités illégales des groupes à caractère religieux, ésotérique ou spirituel seulement six ans après que l'Assemblée ait adopté la Recommandation 1178 (1992) relative aux sectes et aux nouveaux mouvements religieux?

2.Le contenu de la Recommandation, qui a d'ailleurs été utilisé et cité par la plupart des rapports nationaux consacrés aux sectes, reste parfaitement d'actualité et sa mise en uvre par les gouvernements des États membres serait opportune. Mais deux raisons importantes justifient que l'Assemblée se penche à nouveau sur le phénomène. D'une part, le nombre des adeptes ne cesse d'augmenter (60% en France entre 1982, date du rapport Vivien et 1995, date du rapport Guyard) en dépit de l'information donnée sur les activités de certaines sectes notamment à l'occasion de troubles graves à l'ordre public (tuerie de la secte du temple solaire, tuerie de la secte aoum au Japon, condamnations de membres de sectes pour viols, manuvres frauduleuses etc.) ou encore accusations portées par léglise de scientologie contre le gouvernement allemand accusé de pratiquer l'intolérance religieuse et le racisme (voir par exemple, le rapport établi par le Landesamt für Verfassungsschutz du Land de Baden-Württemberg, "Scientology-ein Fall für den Verfassungsschutz"). D'autre part l'apparition du phénomène sectaire dans les pays d'Europe centrale et orientale où la liberté retrouvée a eu pour corollaire le foisonnement de groupements proposant du spirituel, de l'ésotérique ou du religieux à des individus qui en avaient été privés pendant longtemps.

3.Tout d'abord le présent rapport tient compte de celui de Sir John Hunt (Doc 6535) dont les conclusions encore aujourdhui peuvent être reprises intégralement et qui était à lorigine de la Recommandation 1178(1992). Cependant à la lumière des développements intervenus entre-temps il convient d'en préciser certains points et d'en approfondir certains autres.

4.Ce rapport se fonde aussi sur celui de Maître François Bellanger, expert consultant, annexé au présent document dont il fait partie intégrante [voir document AS/Jur (1998) 5].

5.Il s'appuie aussi sur les informations qui ont été fournies lors de laudition tenue à Paris le 8 avril 1997 par la Sous-commission des droits de l'homme en coopération avec l'association européenne des anciens parlementaires des pays membres du Conseil de l'Europe (voir document AS/Jur/DH (1997) 2).

6.Suite à cette audition, qui a été loccasion pour un certain nombre de parlementaires présents de prendre conscience de la réalité des problèmes que posent certains groupes, la Commission a été chargée de préparer un rapport et ma désigné comme rapporteur le 13 juin 1997. Il a donc fallu deux ans pour parvenir au présent rapport qui a fait lobjet de nombreuses et riches discussions au sein de la Commission des questions juridiques et des droits de lhomme. Tous les membres de la Commission ont été invités à faire part de leurs propositions damendement, et celles-ci ont pratiquement toutes été retenues.

7.Il a pris en compte les rapports parlementaires nationaux: celui de l'Assemblée Nationale française (Rapport Guyard) de 1995, celui de la Commission d'enquête parlementaire belge, intitulé "les sectes en Belgique", davril 1997 (Rapporteurs : MM. Duquesne et Willems), celui du Bundestag de juillet 1997, ainsi que l'audit sur les dérives sectaires fait par un groupe d'experts genevois de février 1997. Enfin le rapporteur a eu à sa disposition le projet de rapport(1) du Parlement européen sur cette question et a eu un échange de vues avec sa Rapporteuse, Mme Berger. L'on peut noter que le Parlement Européen avait déjà consacré lui aussi un précédent rapport aux sectes en 1984 (Rapport Cottrell).

8.Le premier problème auquel l'on est confronté lorsqu'on aborde la question est celui de la définition. Il n'existe pas de définition généralement admise de la secte. Toutes celles qui ont été avancées ont donné lieu à des critiques soit parce quelles étaient trop larges et obligeaient à y englober des mouvements qui ne devraient pas l'être, soit au contraire parce qu'elles étaient trop restrictives et en laissaient de côté d'autres qui auraient dû en faire partie.

9.Les risques damalgame résultent principalement de lutilisation généralisée du terme " secte " pour définir un phénomène aux multiples facettes.

10.En effet, le mot " secte " a pris aujourdhui une connotation extrêmement péjorative. Aux yeux du public, il stigmatise des mouvements qui ont une activité dangereuse pour leurs membres ou la société. Le triple drame de lOrdre du Temple solaire et le suicide collectif des membres dun groupement californien ont ainsi contribué à marquer les esprits et à développer un fort sentiment dinquiétude ou dintolérance face au phénomène sectaire.

11.Or, le phénomène sectaire regroupe aujourdhui des dizaines, voire des centaines, de groupements plus ou moins importants, avec leurs croyances et leurs pratiques, qui ne sont pas forcément dangereuses ou liberticides. Il est vrai que, parmi ces groupements, certains ont commis des actes criminels. Toutefois, lexistence de quelques mouvements dangereux ne suffit pas pour condamner lensemble dun phénomène.

12.Le premier danger qui guette les autorités souhaitant pallier les risques liés aux activités sectaires est lamalgame entre les groupements inoffensifs et les groupements dangereux. Une approche qui appréhenderait tous les groupements, dangereux ou pas, de manière globale, serait manifestement, soit disproportionnée au regard de la liberté de croyance si elle était trop restrictive, soit une porte ouverte à tous les abus si elle laissait les groupements dangereux exercer leur activité sans contrôle au même titre que les groupements inoffensifs.

13.Le second piège dans lequel les autorités étatiques ne doivent pas tomber est la distinction entre les sectes et les religions(2). Lillustration parfaite de ce risque potentiel, lié à lutilisation du terme " secte ", est lattitude de certains groupements qui crient à lintolérance religieuse, voire au racisme, dès quun État envisage de prendre des mesures. Ces groupements affirment en effet, rapports dexperts à lappui, quils ne sont pas des sectes mais des religions et quen conséquence, lEtat na aucun droit dagir à leur encontre. Face à ces allégations, si lEtat entre dans le débat en tentant de démontrer que le groupement en cause ne serait pas une religion, il abandonne son devoir de neutralité et participe directement à une controverse spirituelle ou religieuse.

14.Ces deux dangers peuvent être aisément évités par les autorités étatiques moyennant une certaine prudence quant au vocabulaire et le choix dun mode daction relatif aux actes des groupements.

15.Certes, il est évident que lutilisation du terme " secte " est très tentante par les autorités étatiques, compte tenu du fait quil est facilement compris par tout un chacun. Il conviendrait cependant que les autorités étatiques renoncent à son utilisation dans la mesure où il nexiste pas de définition juridique de ce terme(3) et où il a une trop forte connotation péjorative. Aujourdhui, pour le public, une secte est fortement mauvaise ou dangereuse. Pour éviter ce terme " secte ", trois voies sont envisageables.

16.En premier lieu, il serait possible de renoncer à la qualification de " secte " en assimilant tous les groupements à des religions. Toutefois, à notre avis, cette approche serait erronée, car trop restrictive face à la diversité du phénomène sectaire. Un groupement qui propose une doctrine ésotérique nest pas forcément une religion dont lélément central porte, en principe, sur la relation entre lindividu et un être ou une force suprême.

17.En deuxième lieu, lEtat pourrait accepter de suivre la voie ouverte par certains groupements et établir une distinction entre les religions, par définition bonnes, et les sectes, forcément dangereuses, voire une séparation entre les bonnes et les mauvaises sectes. À nouveau, une telle démarche ne nous paraît pas acceptable. Au regard de larticle 9 de la CEDH, il est interdit à lEtat deffectuer une distinction entre les différentes croyances et de déterminer une échelle de valeur des croyances. A notre avis, cela nest pas acceptable. Le simple fait de procéder à une telle répartition constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté garantie par larticle 9 de la CEDH, car le fondement même de cette liberté est labsence de distinction entre les croyances, qui explique le devoir de neutralité de lEtat

18.De plus, cette approche est dangereuse, car, en cas de litige, le débat porterait non pas sur les activités des groupements en cause mais sur la nature de leurs croyances. Le premier moyen de défense de certains groupements est de tenter de démontrer que leurs croyances sont constitutives dune religion, pour prétendre ensuite agir à leur guise, même si cela implique la commission dactes illégaux. Dans une telle situation, si des autorités étatiques acceptent dentrer dans cette discussion idéologique, elles sont obligatoirement amenées à se prononcer sur la qualification des croyances en cause et se retrouvent dans une situation inextricable. Soit elles admettent que la croyance concernée nest pas une religion et elles seront accusées de violer la liberté religieuse et de persécuter le groupement en cause. Soit elles considèrent que la croyance du groupement est effectivement une religion, et ce dernier se prévaudra de cette reconnaissance étatique dans son activité pour justifier toutes ses actions, même illégales. Dans un cas comme dans lautre, les autorités étatiques auront pris parti dans une controverse religieuse et auront donc violé leur devoir de neutralité au regard de larticle 9 de la CEDH. Ce type de débat constitue donc un piège dans lequel certains groupements essaient systématiquement dentraîner les autorités et que celles-ci doivent absolument éviter.

19.En réalité, le seul moyen déchapper à ce piège est déviter toute qualification des croyances en cause comme croyance non religieuse ou religion. Ce qui nous amène à la troisième et dernière voie envisageable, qui nous semble être la seule acceptable.

20.Elle permet déviter les obstacles que nous avons évoqués en se fondant sur une approche plus descriptive du phénomène sectaire et en sintéressant non à la qualification des croyances mais aux actes commis au nom ou sous couvert de ces croyances.

*Il s'agit ici d'un texte non officiel - le texte final pourrait inclure des amendements votés mais non pas inclus dans ce texte diffusé avec le communiqué de presse



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