CESNUR - center for studies on new religions

L E C O N S E I L F É D É R A L S U I S S E

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Conseillers nationaux,

Le Conseil fédéral a pris acte avec un vif intérêt du rapport de la Commission de gestion du Conseil national en date du 1 er juillet 1999 et l’a soigneusement analysé. Sa réponse se fonde sur les travaux préparatoires effectués par le groupe de travail interdépartemental composé de membres de la ChF, du DFAE, du DFI, du DFJP, du DDPS et du DFE.

En publiant son rapport, la CdG-CN a abordé une question importante pour la société. Si l’on en croit les récits faisant état du sort de personnes tombées dans la dépendance psychique de mouvements endoctrinants ou bien encore des meurtres ou suicides collectifs de membres de sectes, il est compréhensible que l’on souhaite l’intervention de l’État pour protéger les personnes concernées et leurs proches. Mais l’intervention de l’État proposée par la CdG-CN doit aussi respecter les limites de l’ordre juridique. En effet, un État libéral et démocratique se doit de protéger d’une part les convictions et les opinions individuelles, mais les lois doivent d’autre part intervenir et limiter les activités des sectes et/ou des mouvements endoctrinants qui portent atteinte aux droits de l’individu ou au bien de l’État. L’attitude de l’État à l’égard des sectes et/ou mouvements endoctrinants doit donc s’articuler autour de ces deux principes.

Dans sa réponse, qui suit largement la structure du rapport de la CG-N, le Conseil fédéral explique pourquoi ce périlleux exercice doit conduire à une politique du Conseil fédéral à la fois rigoureuse et nuancée.

1 Sectes et/ou mouvements endoctrinants

Comme la CdG-CN, le Conseil fédéral estime que la notion de secte est floue et qu’elle est diversement employée et souvent de manière discriminatoire. L’énumération qui figure sous chiffre II.1 du rapport de la CdG-CN fait nettement ressortir ce flou.

La notion de secte étant la plupart du temps employée du point de vue de sa propre croyance dans une volonté d’exclusion, elle suscite des associations négatives. Mais l’État, pour sa part, doit s’abstenir de prendre parti afin respecter la liberté de conscience et de croyance. L’action étatique doit donc s’appuyer sur une définition qui à la fois évite les éléments comportant un jugement de valeur sur une croyance donnée et un usage discriminatoire de la langue. Mais l’ampleur et la complexité du phénomène ne peuvent être rendues par une définition unique, acceptable d’un point de vue juridique et qui englobe tous les mouvements visés [1] . Il est cependant essentiel de donner une définition précise afin de déterminer si l’action de l’État se justifie.

Il convient tout d’abord de souligner que la reconnaissance d’une religion par un canton – qui est seul à avoir la compétence de réglementer les relations entre l’Église et l’État – ne signifie en aucun cas que les Églises, religions ou communautés non reconnues doivent être considérées comme des sectes dangereuses. La plupart des nouveaux mouvements à caractère religieux ou des mouvements professant des opinions particulières ne doivent pas être désignés comme endoctrinants. Pour accomplir la mission que lui assigne la Constitution en matière de sécurité, l’État doit considérer uniquement les mouvements endoctrinants qui représentent un danger pour l’intégrité physique, psychique ou pour la sécurité financière de leurs membres. Le critère qui justifie l’action de l’État devrait être le respect des droits de l’homme tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, mais ce critère ne doit pas se limiter aux seuls mouvements religieux. Il devrait plutôt s’appliquer aux menaces constituées par l’endoctrinement en général. Mais cela va bien au-delà de la question traitée par la CdG-CN.

Pour les raisons précitées, le Conseil fédéral considère qu’il n’incombe pas à la Confédération de déterminer quelles associations appartiennent aux mouvements endoctrinants ni de donner une définition des sectes valable en général.

La question légitime de savoir si la notion de « secte » peut être utilisée se pose tant aux échelons national qu’international, mais il faut accepter que les phénomènes mis en cause soient la plupart du temps discutés sous cette dénomination. Après avoir posé le problème, le rapport de la CdG-CN reprend lui aussi cette notion à son compte. C’est pourquoi elle sera également utilisée dans cette réponse, mais en y ajoutant « et/ou mouvements endoctrinants » afin de garder constamment à l’esprit la complexité de ce phénomène.

2 Aspects juridiques

21 Bases constitutionnelles

Le rapport de la CdG-CN expose de manière détaillée et avec beaucoup de justesse la situation juridique, notamment les conditions posées à la restriction des droits fondamentaux garantis par la Constitution.

Outre les bases légales citées, notamment l’art. 15 Cst. (liberté de conscience et de croyance), le Conseil fédéral a, dans le contexte des questions de sectes et de religion, renvoyé aussi à l’art. 16 (liberté d’opinion et d’information) ainsi qu’aux art. 22 et 23 Cst. (libertés de réunion et d’association).[2]

22 Bases de droit fédéral

Le droit fédéral en vigueur fournit des instruments qui permettent d’empêcher les atteintes de sectes et/ou de mouvements endoctrinants à la sphère privée. Ainsi, toute personne harcelée ou importunée par d’autres personnes ou par une association peut en appeler aux dispositions correspondantes du Code civil ou, le cas échéant, du Code pénal en matière de protection. Ces instruments permettent aussi de s’attaquer aux mouvements qui menacent l’ordre public ou la sécurité de l’État. Les organes de protection de l’État ne peuvent toutefois s’occuper de sectes et/ou de mouvements endoctrinants à titre préventif que lorsque des indices concrets permettent de présumer que la sécurité de l’État ou celle des citoyens sont menacées (cf. art. 3 de la loi fédérale du 21 mars 1997 instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure, LMSI, RS 120).

Les mesures policières préventives seraient autorisées si :

- au sein ou en-dehors du mouvement (ou du groupement religieux), des violences étaient exercées, si le mouvement en question pouvait être qualifié d’organisation extrémiste violente ou terroriste et qu’il constitue un danger pour la sécurité intérieure ;

- le mouvement menaçait l’ordre constitutionnel par des moyens contraires au droit et à la démocratie ;

- le mouvement menaçait la dignité humaine et la paix sociale par des activités racistes ou antisémites ;

- le mouvement violait systématiquement les intérêts pécuniaires de ses membres (criminalité organisée) ;

- le mouvement était interdit à l’étranger pour avoir commis des infractions à la loi.

A cet égard, il importe de rappeler que les droits fondamentaux sont garantis à toutes les personnes, qu'elles soient membres de sectes et/ou de mouvements endoctrinants ou non.

Les activités d’associations ne peuvent par conséquent être restreintes par la loi que si un intérêt public le justifie, que des mesures restrictives s’imposent et qu’ainsi les conditions stipulées à l’art. 36 Cst. soient remplies. La lutte contre les associations contraires au droit ou aux moeurs est une mission qui incombe au premier chef aux cantons en vertu de la séparation des compétences qui prévaut dans un État fédéral.

Il existe toute une série de bases de droit pénal qui sont applicables en relation avec les sectes et/ou les mouvements endoctrinants.

- Comme le relève le rapport de la CdG-CN, une intervention est possible sur la base de la norme pénale antiracisme (art. 261 bis CP) lorsqu’une secte et/ou un mouvement endoctrinant se réclame d’une idéologie raciste ou antisémite. Cela revêt une importance particulière pour l’État lorsqu’il s’agit de défendre les valeurs fondamentales et la démocratie.

- Dans les cas d’infractions contre le patrimoine : en cas d’usure (art. 157 CP), d’escroquerie (art. 146 CP), d’extorsion et de chantage (art. 156 CP), de participation à une organisation criminelle (art. 260 ter CP) ;

- Dans les cas de crimes ou délits contre la liberté : en cas de menaces (art. 180 CP), de séquestration ou d’enlèvement (art. 183 CP), de contrainte (art. 181 CP).

- Dans les cas d’infractions contre la vie et l’intégrité corporelle, excepté en cas de meurtre et d’assassinat : en cas d’homicide par négligence (art. 117 CP) ; d’incitation et d’assistance au suicide (art. 115 CP), de lésions corporelles et de lésions corporelles graves et de lésions corporelles simples (art. 122 et 123, al. 1, CP), ou en cas de lésions corporelles par négligence (art. 125 CP) ;

- Dans les cas d’infractions contre l’intégrité sexuelle, d’actes d’ordre sexuel avec des enfants ou de pornographie (art. 187 et 197 CP), de contrainte sexuelle ou de viol (art. 189 et 190 CP), d’abus sexuels envers une personne qui est incapable de discernement ou de résistance, d’abus de la détresse (art. 191 et 193 CP), d’exploitation de l’activité sexuelle (art. 195 CP) [3] .

En relation avec le droit pénal, il convient aussi de renvoyer à la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur l’aide aux victimes d’infractions, (Loi sur l’aide aux victimes, LAVI, RS 312.5). Dans la mesure où les conditions posées par cette loi sont remplies, les victimes de sectes et/ou de mouvements endoctrinants peuvent s’adresser aux services cantonaux compétents pour demander de l’aide.

23 Droit international

Le Conseil fédéral rappelle les engagements internationaux visant à préserver la liberté de religion. En matière de liberté de religion, la Suisse s’en tient aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PDCP)[4] et de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) qui protègent la liberté de religion (art. 9, al. 1, CEDH = art. 18, al. 1, PDCP et art. 9, al. 2, CEDH = art. 18 al. 3, PDCP). Dans le cadre de leurs relations bilatérales ou multilatérales (Commission des droits de l’homme de l’ONU ; Dimension Humaine de l’OSCE), les États discutent de la question de la liberté de religion et doivent le cas échéant prendre position sur leur pratique en la matière. Cela vaut à la fois pour les pays où certaines religions sont traditionnellement établies et pour les sectes et/ou les mouvements endoctrinants.

Dans ses prises de position, la Suisse souligne que la liberté de religion ne peut être restreinte que si la restriction

- se fonde sur une base légale compatible avec le droit international,

- est justifiée par un intérêt public prépondérant ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui,

- et ne porte pas atteinte au principe de la proportionnalité.

La Suisse s’est par ailleurs engagée à respecter les principes définis dans la Déclaration de 1981 de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction. Le principe de l'égalité de traitement que doivent appliquer les États veut d’une part que ceux-ci évitent la discrimination (ne pas traiter différemment ce qui est essentiellement égal), et que d’autre part ils évitent de traiter sur un pied d’égalité ce qui est essentiellement différent. La Suisse s’engage pour que tous les êtres humains jouissent de la liberté de croyance, de conscience et d’association, mais elle reconnais qu’une inégalité de traitement due à la différence de nature, de taille ou à l’histoire ne constitue pas forcément une discrimination. La Suisse encourage les Etats-membres de l’OSCE à adopter des normes pénales analogues à l’art. 261 bis CP, qui proscrivent la discrimination fondée non seulement sur l’appartenance raciale ou ethnique, mais aussi sur l’appartenance religieuse.

3 Interventions parlementaires

Depuis la fin des années quatre-vingt, le Conseil fédéral a eu à de nombreuses reprises l’occasion de s’exprimer sur les sectes et sur la religion sur la base des interventions parlementaires suivantes :

88.1068 Question ordinaire Petitpierre du 14.12.1988

93.3606 Motion Zisyadis du 7.12.1993

94.3162 Interpellation Scherrer Werner du 18.3.1994

94.3418 Interpellation Zisyadis du 6.10.1994

96.3505 Interpellation Borer du 3.10.1996

98.3136 Interpellation Burgener du 20.3.1998

98.1050 Question ordinaire Schmid Odilo du 27. April 1998

00.3115 Interpellation Studer du 23.3.2000

Dans les réponses à ces interventions, le Conseil fédéral s’en est tenu aux principes suivants :

  1. 1. La protection des droits fondamentaux, notamment la liberté de conscience et de croyance, est un élément majeur des droits de l’homme. Cela s’applique à toutes les religions ; la foi chrétienne ne jouit pas d’un traitement de faveur – malgré la tradition chrétienne qui prévaut en Suisse. (Ip Studer) [La réponse du CF fait encore l’objet d’une consultation des offices]. Les droits fondamentaux ne peuvent être restreints que sous certaines conditions. Ces restrictions doivent être dictées par l’intérêt public, se fonder sur une base légale et tenir compte de la proportionnalité (voir explications plus haut).
  2. 2. Conformément à la séparation des compétences voulue par le fédéralisme, ce sont les cantons qui sont compétents pour réglementer les rapports entre l’Église et l’État. La Confédération ne pourrait agir que si les cantons le demandaient expressément.
  3. 3. Les autorités ne peuvent intervenir que si la sécurité des citoyens ou celle de l’État est menacée. Les instruments en vigueur offrent une garantie suffisante pour ce faire (cf. chiffre 32).

Toutes les réponses du Conseil fédéral aux interventions déposées les 12 dernières années témoignent d’une attitude claire et constante en ce qui concerne la problématique des sectes et/ou mouvements endoctrinants. Il renvoie en effet systématiquement d’une part aux droits fondamentaux et d’autre part à sa mission en matière de sécurité et avance la structure fédéraliste de notre pays pour expliquer pourquoi il n’appartient pas à la Confédération de formuler et de mettre en oeuvre une politique de lutte contre les sectes.

4 Analyse et mesures

Le Conseil fédéral est d’accord avec le rapport de la CdG-CN pour ce qui est des structures et des caractéristiques des sectes et/ou mouvement endoctrinants, ainsi qu’avec la description des problèmes rencontrés par les personnes concernées. Sur le fond, il approuve aussi l’analyse effectuée par la commission, mais il accorde à certains points un poids différent et en tire d’autres conséquences dans l’optique des mesures à prendre.

41 Situation en matière d’information et création d’un service central d’information et de consultation

Le rapport de la CdG-CN révèle un besoin de recherche et d’informations en ce qui concerne les sectes et/ou les mouvements endoctrinants. Le Conseil fédéral est d’accord avec cette analyse, mais il juge, comme le fait indirectement le rapport, qu’il ne lui appartient pas de tenter de remédier au manque d’information et de résultats en matière de recherche. Il ne dispose par ailleurs que de modestes compétences pour lancer des projets de recherche.

La mise sur pied d’un service d’information et de consultation à l’échelle nationale n’est pas non plus une tâche incombant à la Confédération. Dans la réponse qu’il a donnée à la motion Zisyadis [5] , le Conseil fédéral a déjà expliqué les problèmes qui se poseraient à cet égard : étant donné que les questions religieuses relèvent de la compétence des cantons, c’est à ceux-ci qu’il appartient au premier chef de veiller à réglementer l’ordre et la paix publique parmi les membres des différentes communautés religieuses. La Confédération n’a dans ce domaine que des compétences subsidiaires. Elle ne pourrait étendre ses compétences que si les mesures cantonales étaient jugées insuffisantes ou si les cantons le lui demandaient explicitement.

Il est difficile, comme on le sait, de se procurer des informations détaillées et vérifiables sur les sectes et/ou les mouvements endoctrinants. La création d’un service fédéral d’information et de consultation ne pourrait guère produire, sans un travail et des moyens considérables, de meilleurs résultats que ne le font les services d’information et de consultation existant déjà. D’autre part, cela montre à quel point le travail de ceux-ci est important et combien il faut le reconnaître. Le Conseil fédéral salue tout particulièrement les efforts consentis par ceux qui, sans idées préconçues et sans méfiance, s’efforcent de faire des recherches et fournir des informations, tel « l’Observatoire des religions en Suisse », institut de recherche nouvellement créé à l’université de Lausanne.

La Confédération peut aider ces services et les cantons en leur transmettant les informations dont elle dispose, et soutenir ceux-ci dans l’accomplissement de leurs tâches. Elle considère en outre qu’il est souhaitable d’améliorer la coordination avec les autorités concernées au niveau cantonal. La Conférence des chefs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP) ne s’est pas exprimée au sujet du rapport, mais son directoire a fait part de son intérêt pour cette thématique et pour la réponse du Conseil fédéral.

Il en va autrement de la demande relative à l’amélioration de la coordination au sein de l’administration fédérale. Il faudrait effectivement accroître la coordination au niveau de la Confédération et il serait souhaitable d’améliorer l’échange d’informations entre les services qui ont affaire de manière ponctuelle et dans le cadre de leurs attributions avec les sectes et/ou les mouvements endoctrinants.

42 Attitude des autorités

421 Confédération

Le Conseil fédéral juge trop sélective la liste des mesures prises jusqu’à présent par les autorités que dresse le rapport de la CdG-CN, et il pense qu’il faudrait la compléter : en effet, bien que la Confédération ne voie aucun besoin d’agir sur le plan juridique, elle suit les activités de certains mouvements. C’est ainsi que la Commission consultative en matière de protection de l’État instituée en 1992 par le DFJP s’occupe notamment depuis 1995 de la question du danger que représentent pour la sécurité de la Suisse certains mouvements endoctrinants. Compte tenu des événements qui se sont produits ces dernières années et qui ont bouleversé la population (incendie de Waco/Texas ; drame du l’Ordre du Temple Solaire ; attentat au gaz sarin de la secte AUM), la commission a décidé de s’occuper de ce sujet de manière approfondie. En juillet 1998, le DFJP a publié un rapport sur la « Scientology en Suisse » à l’attention de la Commission consultative en matière de protection de l’État. Un rapport d'actualité sur la situation sera publié cette année encore.

422 Cantons

La CdG-CN cite dans son rapport quelques activités au niveau cantonal. Les cantons utilisent leur marge de manoeuvre en matière de questions religieuses : ainsi, certains cantons ont prononcé des interdictions de publicité, soutenu financièrement des services d’information, interdit la vente de littérature ou la distribution de brochures sur la voie publique, etc.

On peut ajouter les activités suivantes à celles énumérées dans le rapport, sans pour autant prétendre être exhaustif :

- La police industrielle (Gewerbepolizei) de la ville de Zurich a interdit en 1994 à l’Église de scientologie de distribuer des prospectus et des tests de personnalité dans la rue. Le tribunal administratif de Zurich a levé cette interdiction en septembre 1999 en arguant du fait que l’Église de scientologie avait une orientation commerciale et que la distribution de publicité sur la voie publique à des fins commerciales ne devait pas être interdite de prime abord. Le Conseil municipal a porté le litige devant le Tribunal fédéral où il est en suspens.

- Interpellation Edith Lüscher, canton d’Argovie : le 27 octobre 1998 a été déposée une interpellation concernant le service d’information en matière de sectes et autres associations totalitaires, InfoSekta. Le Conseil d’État a répondu le 20 janvier 1999 comme suit : le besoin d’information et de conseils de chacun est indéniable ; le canton d’Argovie est déjà membre de l’association Service d’information et de consultation en matière de sectes et questions de culte (InfoSekta). La formation des enseignants tient aussi compte de cette question. Par ailleurs, divers services de contact et de consultation existent déjà, mais ils sont encore trop peu connus.

- S’agissant de la situation dans le canton de Bâle-Ville, on peut ajouter ce qui suit, suite aux événements cités dans le rapport : le Tribunal fédéral a rejeté [6] un recours de droit public interjeté par l’Église de scientologie contre le Conseil d’Etat et le Grand Conseil concernant la loi pénale modifiée sur les infractions [7] . Le Tribunal pénal a toutefois relaxé deux adeptes de l’Église de scientologie qui avaient été dénoncés pour recrutement au motif que le recrutement est une activité économique et non religieuse. Le Département militaire et de police du canton de Bâle-Ville a interjeté recours contre ce jugement auprès de la Cour d’appel. Le jugement n’a pas encore été rendu.

- En ce qui concerne les cantons de Genève, Berne, Fribourg, Jura, Neuchâtel, Tessin, Valais et Vaud, ils ont constitué, en 1997, une commission intercantonale sur les dérives sectaires. Sur la base des travaux de cette commission, le Grand Conseil du canton de Genève a chargé l’exécutif de prendre les mesures pour la création d’un «centre intercantonal d’informations sur les croyances». Le centre devrait pouvoir entrer en fonction au début de 2001. Il s’agira d’une Fondation dont le Conseil comprendra neuf membres, parmi lesquels trois représentants des autorités administratives et politiques. Il sera, dans un premier temps, basé à Genève, qui assure la plus grande partie de son financement. Selon le Président de la commission intercantonale sur les dérives sectaires, ce centre remplirait la condition de l’indépendance stipulée dans la recommandation 1412 (1999) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur les activités illégales des sectes.

423 Coopération internationale

La police fédérale est en contact permanent avec les services de sécurité étrangers. En prévision du changement de millénaire, un état des lieux coordonné à l’échelle internationale a été réalisé. Il a révélé que la situation en matière de sectes variait d’un pays à l’autre et que le danger constitué par certains groupements était évalué différemment selon le pays [8] . Les mouvements endoctrinants taxés de violents dans d’autres pays européens ont été évalués en fonction du danger qu’ils constituaient pour la sécurité de la Suisse. Étant donné que ces mouvements ne sont guère, voire pas du tout actifs dans notre pays, on a pu exclure tout risque pour la sécurité intérieure de la Suisse.

Dans l’Union européenne, ce sont les différents États membres qui sont compétents en matière de questions religieuses et communautés de pensée philosophiques [9] . La coopération des États membres

dans ce domaine est toutefois jugée importante. Un rapport de la Commission pour les libertés civiles et publiques et les affaires intérieures du Parlement européen sur les Sectes dans l’Union européenne contient des recommandations indiquant à quel moment il conviendrait d’intervenir en relation avec les activités des sectes [10] . Ces recommandations comprennent par exemple des directives claires quant à l’octroi de subventions, l’offre de structures d’entraide pour les membres de sectes qui souhaitent en sortir, la vérification de l’efficacité des lois nationales, etc. Ce rapport n’a toutefois pas pu être adopté en plénum parce que les points de vue étaient inconciliables.

La question des sectes est en outre régulièrement examinée sur le plan multilatéral, par exemple à l'OSCE (Dimension humaine), à l'ONU (Rapporteur spécial sur l'intolérance religieuse), ainsi que dans le cadre du Conseil de l'Europe.

43 Mesures de protection

Comme la CdG-CN, le Conseil fédéral est d’avis que les dispositions légales en vigueur sont suffisantes pour assurer la protection des enfants, des consommateurs et pour la protection de la santé. L’art. 14 de la Convention relative aux droits de l’enfant (RS 017) garantit le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion. L’al. 2 de ce même article consacré aux droits des parents constitue une particularité. Contrairement à l’art. 18 du Pacte II de l’ONU, les États membres ne s’engagent pas à respecter la liberté des parents d’assurer l’éducation religieuse et morale des enfants en accord avec leurs propres convictions, mais à respecter le droit et le devoir des parents de guider l’enfant dans l’exercice de ce droit d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités. À l’al. 3 sont énumérées les restrictions possibles à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions. Si on les compare aux dispositions du Pacte II de l’ONU, il est à souligner que celles de la Convention relative aux droits de l’enfant ne contiennent aucun droit explicite de l’enfant d’adopter une religion ou des convictions, et par conséquent de changer de religion.

Les dispositions en vigueur sur la protection de l’enfant (art. 307 et 308 CC) sont applicables lorsque les enfants ne sont pas en mesure ou ne sont pas désireux de veiller au bien de l’enfant. Si l’on a des soupçons fondés que les parents, en raison de leur appartenance à un mouvement endoctrinant, pourraient menacer la vie ou la santé physique ou psychique de leur enfant, les autorités de tutelle sont habilitées à intervenir.

La recommandation de la CdG-CN en matière de protection de l’enfant doit être appuyée ; elle ne concerne toutefois que les compétences cantonales et n’implique par conséquent pour la Confédération aucune nécessité d’agir.

La CdG-CN demande une nouvelle réglementation légale pour la protection des consommateurs en ce qui concerne l’aide aux personnes qui ne sont pas capables de gérer leur vie seules.

Cela étant, il faut noter que le droit actuel contient diverses dispositions permettant d’ores et déjà la défense des consommateurs. On peut notamment citer, en matière de protection du consommateur, les dispositions relatives à la concurrence déloyale, au crédit à la consommation, à l'exercice illégal de la médecine, aux stupéfiants. Concernant l'illégalité et les abus dans le domaine financier, il y a également les dispositions relatives à la fraude fiscale, au transfert illégal de fonds, au travail et au commerce.

Le Conseil fédéral estime par conséquent que les lois existantes offrent dans ce contexte une protection suffisante des consommateurs.

Dans le domaine de la législation sanitaire, la CdG-CN juge que la Confédération doit intervenir dans le secteur de la coordination des législations cantonales. Les compétences de la Confédération en matière de santé figurent essentiellement à l’art. 118 Cst. La Confédération a en outre la compétence de réglementer les activités économiques lucratives privées en se fondant sur l’art. 95 Cst. Or, du fait que la plupart des base légales relèvent de la compétence des cantons, la Confédération ne saurait avoir des tâches de surveillance ni de coordination et elle n’a donc pour l’instant aucune intention d’intervenir dans ce domaine. Cela revient à dire que même les méthodes de guérison douteuses pratiquées par les sectes et/ou mouvements endoctrinants relèvent de la surveillance des cantons. Même s’il existe des bases constitutionnelles pour réglementer les activités économiques privées de personnes qui vantent ou exercent [11] des pratiques de guérison extra-économiques, la Confédération ne pourrait assumer une fonction de coordination dans ce domaine qu’à la demande expresse des cantons.

Pour ces raisons, la Confédération ne peut adhérer à l’avis de la CdG-CN, selon lequel elle devrait agir dans le domaine de la législation sanitaire.

5 Commentaire des recommandations

51 Recommandation 1 : Politique de la Confédération en matière de sectes

Comme le montrent les réponses aux interventions parlementaires (cf. chiffre 3), le Conseil fédéral a toujours défendu une attitude homogène en ce qui concerne les questions de religion et de sectes. Il se peut que cette attitude soit quelque peu réservée, mais ainsi qu’on l’a dit plus haut, elle tient compte des droits inscrits dans la Constitution et des aspects fédéralistes de la Suisse. Le Conseil fédéral ne voit par conséquent aucune raison de formuler une « politique spécifique en matière de sectes » qui aille au-delà de cette attitude.

52 Recommandation 2 : Coordination de la Confédération

En matière de coordination, la difficulté réside dans le fait que la plupart des services administratifs ne s’occupent que très rarement de cette problématique et lorsqu’ils le font, seulement en relation avec des questions techniques très spécifiques. Le savoir reste donc cantonné chez les spécialistes, c’est ce qui ressort de l’annexe A au rapport de la CdG-CN (Rapport du 20.2.1998 de l’OPCA). Il faudrait donc garantir que l’on puisse savoir quels services ou quelles personnes de l’administration fédérale s’occupent de ces questions. En cas de besoin, il serait ainsi possible de faire appel sans retard aux contacts nécessaires dans les autres départements.

Le Conseil fédéral estime judicieuse la création d’un tel réseau. Pour améliorer l’échange d’expériences, le Conseil fédéral charge donc la Conférence des secrétaires généraux (CSG) d’assurer la coordination entre les différents services de la Confédération. Les secrétariats généraux veilleront à ce que leurs services mettent en réseau les responsables chargés de ces questions au plan interne. Au besoin, la ChF organisera aussi des réunions en vue d’un échange d’informations et pour assurer la coordination entre les personnes intéressées.

53 Recommandation 3 : Service fédéral d’information et de consultation

En ce qui concerne la création par la Confédération d’un service chargé de s’occuper des sectes et/ou mouvements endoctrinants, on doit avancer les objections suivantes : celui-ci n’aurait pas obligatoirement l’objectivité souhaitée et ne permettrait l’accès de la population à ses services car il serait très vraisemblablement composé d’un petit groupe de spécialistes. Ces derniers seraient par ailleurs d’abord occupés à diffuser des informations au public et ensuite seulement à récolter, analyser et vérifier ces informations. De plus, les compétences d’un service de ce genre seraient très limitées puisqu’il n’aurait pas de base légale.

Pour ces raisons et pour celles évoquées au chiffre 41, il convient de rejeter la création d’un service fédéral d’information et de consultation.

On peut par ailleurs douter de l’utilité de la campagne d’information orchestrée par la Confédération que demande le rapport. Une telle campagne nécessite des moyens financiers considérables et il faudrait par ailleurs déterminer ce qui devrait être communiqué. Pour des considérations de principe (voir plus haut), la Confédération ne peut pas lancer d’avertissement général contre les sectes et/ou les mouvements endoctrinants. Il serait tout au plus envisageable de faire des efforts pour informer les institutions concernées par ce problème (écoles, organisations de jeunesse, services de consultation, autorités policières et judiciaires, etc.) sur la situation juridique existante et pour encourager la sensibilité nécessaire dans la manière de traiter les victimes.

Le Conseil fédéral ne peut donc répondre à la recommandation 3 de la CdG-CN.

54 Recommandation 4 : Encouragement de la recherche

Comme on l’a expliqué au chiffre 41, le Conseil fédéral n’a que de faibles compétences pour lancer des projets de recherche. Un renforcement des activités de recherche interdisciplinaires qui traiteraient sans idées préconçues des sectes et/ou mouvements endoctrinants serait souhaitable. L’initiative devrait toutefois en incomber aux universités et autres institutions chargées de recherches, qui les financeraient. Le lancement d’un programme national de recherche consacré à ce thème serait en outre envisageable.

Même s’il est souhaitable d’intensifier la recherche, le Conseil fédéral n’a que des possibilités limitées d’encourager concrètement celle-ci. Il suivra attentivement les projets de recherche existants et ceux à venir portant sur ce thème. S’il apparaissait à moyen terme qu’un besoin de recherche important pour la société n’était pas pris en considération, le Conseil fédéral lui accorderait l’attention requise dans le cadre de la planification des prochains programmes nationaux et de la définition des priorités.

55 Recommandation 5 : Mesures de protection

Les possibilités dont dispose le Conseil fédéral pour influer sur la mise en oeuvre et l’exécution des lois en matière de protection des enfants, des consommateurs et de santé sont restreintes. Cf. à ce propos les explications détaillées sous chiffre 43.

Le Conseil fédéral ne voit aucune possibilité d’exercer davantage d’influence dans ce domaine.

En vous demandant de bien vouloir prendre acte de nos explications, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers nationaux, l’assurance de notre haute considération.

3003 Berne, Au nom du Conseil fédéral suisse Le président de la Confédération,

La chancelière,

1 [retour] Le cas de l’UE l’a aussi montré : le Comité pour les libertés publiques et les affaires intérieures du Parlement de l’UE (rapporteur Maria Berger) a rédigé un rapport sur les sectes dans l’Union européenne (11 décembre 1997, A4- 0408/97). Ce rapport n’a pas été adopté en plénum car les points de vue n’étaient pas conciliables.
2 [retour] Suivant la situation concrète, les articles suivants de la Constitution peuvent avoir une importance dans ce contexte : l’art. 7 (dignité humaine), art. 8, al. 2 (interdiction de discrimination du fait de convictions religieuses ou philosophiques), art. 9 (protection contre l’arbitraire de l’État), art. 10 (droit à la liberté personnelle), art. 11 (protection des enfants et des jeunes), art. 12 (droit d’obtenir de l’aide dans des situations de détresse), art. 13 (protection de la sphère privée), art. 14 (droit au mariage et à la famille), art. 19 (droit à un enseignement de base), art. 27 (liberté économique), art. 34 (droits politiques) et art. 35, al. 3 (réalisation des droits fondamentaux entre particuliers).
3 [retour] Cf. aussi l’étude réalisée par l’expert Maurice Haari : « La répression pénale de certaines dérives sectaires : une esquisse d’inventaire » in : Audit sur les dérives sectaires, Rapport du groupe d’experts genevois au Département de Justice et Police et des Transports du Canton de Genève, février 1997, p. 222 à 272.
4 [retour] Résolution du 16 décembre de l’Assemblée générale de l’ONU.
5 [retour] 93.3606 Motion Zisyadis du 6.10.1993
6 [retour] ATF 1P.571/1998 du 30.6.1999
7 [retour] Selon ces dispositions, est punissable celui qui recrute pou tente de recruter des passants sur la voie publique au moyen de méthodes trompeuses ou déloyales.
[retour] 8 Cela vient du fait que les mouvements endoctrinants sont très actifs dans certains pays et ont beaucoup d’adeptes, tandis qu’ils ne sont guère représentés dans d’autres pays.
9 [retour] Version consolidée du Traité du 3 octobre 1997 sur l’Union européenne (Traité d’Amsterdam).
10 [retour] Rapport sur les sectes dans l’Union européenne (11 décembre 1997, A4-0498/97).
11 [retour]Cf. aussi à ce sujet l’ATF du 21 juin 1989 (IP.225/1988) concernant la question de savoir quand guérir est une activité religieuse et quand c’est une activité paramédicale.


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