Je vais présenter ici comment la mondialisation et les migrations indiennes à échelle mondiale ont entraîné une mutation de la géographie de l’hindouisme, et quelles en sont les modalités.
Cette présentation portera exclusivement sur les temples hindous, lieux sacrés par excellence, dont le rôle de rassembleur communautaire est, en Inde comme à l’étranger, multiforme. Il ne sera par conséquent pas question des nouveaux mouvements religieux issus de l’hindouisme qui, malgré leur configuration transnationale concernent moins la problématique de l’immigration.
L’Inde est la terre de l’hindouisme. Pourtant depuis l’Antiquité, les hindous n’ont cessé de migrer hors de leurs frontières.
Aussi trois questions principales se posent :
-Comment l’hindouisme voit-il sa géographie socio-religieuse reconfigurée par les migrations internationales ?
-Dans le cadre de la reterritorialisation des hindous, comment s’opèrent localement les rassemblements communautaires et identitaires autour des temples face à la diversité religieuse des pays d’accueil, d’autant que celle-ci est parfois présente au sein même de la communauté hindoue relocalisée?
-Enfin, quels sont les effets de ces mutations sur la géographie religieuse des temples indiens?
C’est à ces questions que je vais répondre ici, en présentant brièvement la nature de l’ancrage territorial de l’hindouisme en Inde et les grandes phases des migrations hindoues, avant d’aborder les modalités des reconfigurations locales et mondiales de la géographie des temples.
1) L’hindouisme et les migrations : tradition et diffusion
La géographie traditionnelle de l’hindouisme en Inde
Pour les hindous, l’Inde dans son intégralité est un espace sacré, et même un territoire divinisé. C’est en effet dans le sous-continent que se situent les hauts lieux de l’hindouisme dont se reconnaissent 827 millions[1] individus en Inde et 50 millions[2] dans monde. Cette religion a construit durant toute son histoire, un véritable territoire hindou dans toute l’Inde et ce, à différentes échelles. Dans chaque village comme à travers les lieux de pèlerinage, nombre de montages, collines, rivières, bois sacrés, et autres villes-temples, définissent selon une imbrication de systèmes de temples localisés, toute une géographie religieuse du territoire indien intensément pratiquée et vécue par les hindous.
Premièrement, les grands fleuves de l’Inde dont le fameux Gange, mais aussi la Yamuna, la Narmada, la Godaveri, la Krishna, la Saraswati, l’Indus (aujourd’hui au Pakistan) ou encore la Kaveri, sont autant d’éléments géographiques divinisés sous des formes féminines. Il en est de même pour de nombreuses montagnes (Himalayennes principalement où demeure le dieu Shiva). Notons que cet ancrage géographique de l’hindouisme est également effectif à échelle plus grande, où les rivières et autres cours d’eau locaux prennent souvent une dimension sacrée ou du moins rituelle, tout comme certains arbres, tel le banyan (ficus religiosa) dans les villages. C’est donc tout le paysage de l’Inde qui est repris par la vision géographique de l’hindouisme.
En second lieu, la signification des réseaux de pèlerinages hindous contribue également à la constitution d’un ancrage territorial en Inde, et ce à échelle nationale comme à celle des régions intermédiaires. Le pèlerinage panindien du Char Dhām quadrille le territoire de l’Union Indienne en balisant ses quatre points cardinaux (cf. carte 1). Les pèlerins du Char Dhām doivent parcourir l’ensemble du territoire indien ainsi conçu et vécu comme un sanctuaire. Ce type de balisage religieux du territoire est aussi effectif à l’échelon intermédiaire des Etats de l’Union Indienne, comme dans le cas du pèlerinage Arupat*aivīt*u (« les six demeures » en tamoul) dédié à la divinité Murugan au Tamil Nadu, un Etat du sud de l’Inde à forte identité culturelle (cf. carte 2).
On constate donc que les systèmes de pèlerinage sont organisés en réseaux de lieux et de liens symboliques, et que les territoires sacralisés par ces lieux de pèlerinages coïncident avec les limites territoriales et administratives de l’Inde et d’un de ses Etats (respectivement constituées en 1947 et 1956[3]). Ainsi, la dimension géographique du pèlerinage rend possibles l’expérience du territoire pour les pèlerins hindous mais aussi l’ancrage de l’hindouisme dans les territoires indiens.
Carte 1 Les lieux de pèlerinage du Char Dham et les Etats de l’Union Indienneì |
Carte 2 Les six centres de pèlerinage de Murugan au Tamil Nadu.
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Enfin, l’Inde est un territoire divinisé en tant que tel. L’Inde est une déesse, Bhārat Mātā (« Mère Inde » en sanskrit et en hindi) et des temples lui sont directement consacrés comme à Varanasi (en Uttar Pradesh), où une carte du territoire indien est si fidèlement reproduite qu’elle recrée, par un système d’arrivée d’eau, le niveau des mers et les inondations des périodes de mousson. Tout le territoire indien et sa géographie sont donc objets de culte et de dévotion.
L’Inde est donc le territoire sacré par excellence, en concordance avec un précepte védique des Lois de Manu qui recommandait à ceux avaient quitté le territoire de l’Inde et qui y revenaient après un certain temps, de se livrer à des rites de purification, chose que continuent à faire certains prêtres Brahmanes.
Constitution de l’espace migratoire.
Les Lois de Manu n’ont cependant pas empêché les migrations hindoues hors de l’Asie du Sud[4]. Celles-ci peuvent être regroupées en cinq phases migratoires:
*les mouvements de populations antiques et précoloniaux, concernant principalement militaires, commerçants, ou missionnaires qui installèrent temples et communautés religieuses dans le Sud-Est asiatique (on note également à cette période la présence de nombreux marchands indiens dans les ports de la Péninsule indochinoise, du Golfe Persique, et de la côte orientale de l’Afrique).
A échelle mondiale, les migrations et les installations des hindous plus sont récentes, ne remontant qu’à cent soixante ans environ.
*les migrations du cadre colonial ; Une première phase concerne une migration prolétaire avec :
- des émigrations vers les pays de « plantation » et miniers pour remplacer les esclaves noirs émancipés suite à l’abolition de l’esclavage[5] (vers l’Ile Maurice, La Réunion, Guyana, le Surinam, la Guyane, la Martinique, Trinidad, la Jamaïque et autres îles des Antilles anglaises et françaises, l’Afrique du Sud, l’Afrique de l’Est, Fidji),
- et un même type de migration de main d’œuvre qui s’est déployé dans des espaces plus proches de l’Inde, à travers des systèmes de recrutement spécifique vers les plantations de thé à Ceylan et les cultures d’hévéa en Birmanie et en Malaisie.
- Ensuite, une phase de migration libre s’établit entre la fin du XIXème et au début du XXème siècle, concernant une migration marchande de banquiers, commerçants et employés souvent issus de castes supérieures, s’engageant comme auxiliaires impériaux de l’Empire britannique en Afrique du Sud et de l’Est, en Birmanie, en Malaisie, et Fidji.
*l’émigration vers les pays occidentaux après l’Indépendance indienne en 1947 où les cadres migratoires changent. Le contexte post-colonial amène nombre d’hindous à quitter leur pays d’accueil pour la Grande-Bretagne, pour des causes tant économiques que politiques qui conduisent nombre d’hindous à migrer vers l’ancienne métropole coloniale.
* L’essor de l’industrie pétrolifère des pays du Golfe Persique depuis des années 1970 a entraîné une forte demande de main d’œuvre toujours effective. Cette région constitue depuis la deuxième principale destination des émigrants indiens, musulmans pour la plupart même si de nombreux hindous (du sud de l’Inde principalement, notamment Keralais) sont aussi concernés.
* Parallèlement puis ultérieurement, une diaspora intellectuelle s’établit aux Etats-Unis principalement, mais également au Canada, et en Australie, plus encore qu’en Grande Bretagne. Ces migrants sont principalement des urbains issus de milieux socio-professionnels élevés ne trouvant pas suffisamment d’emplois à la hauteur de leurs qualifications[6] en Inde.
Carte 3: Répartition mondiale des Hindous hors de l’Inde en 2003[7].
Trouillet 2004 |
2) Temples hindous et diversité religieuse hors de l’Inde : rassemblement identitaire ou distinction communautaire ?
L’installation définitive des hindous à l’étranger a entraîné la construction de nombreux temples dans le monde entier.
En revanche, la communauté transnationale hindoue ne doit pas être considérée comme une entité homogène car l’hindouisme s’est adapté différemment à la pluralité des contextes des pays d’accueil. Les temples hindous, symboles mêmes d’une identité religieuse inscrite dans l’espace social et dans le paysage, peuvent montrer en effet des différences importantes en terme de fonction socio-religieuse. Tout comme en Inde, la caste ou l’identification régionale, restent les fondements de différenciation identitaire dans certains cas de l’hindouisme transnational. Les hindous britanniques, mauriciens et malais présentent certaines formes de pratiques, d’associations et d’institutions religieuses basées sur ces critères d’appartenance, alors que dans nombre d’autres pays, ces modes de différenciation sont tombées en désuétude.
Les rituels télougous[8] pratiqués à l’Ile Maurice servent à la fois à exprimer l’identité hindoue et à individualiser le groupe télougou du reste de la communauté hindoue, bien qu’il y ait des tendances d’assimilation avec les autres groupes (Hindis et Tamouls principalement). En Malaisie, les temples sont installés à la fois pour rassembler la communauté hindoue et pour reproduire les hiérarchies sociales. Les premières phases d’installation y ayant été influencées par les castes, il est commun pour chaque communauté de construire des temples séparés pour répondre aux besoins religieux de leur propre caste.
Hors de l’Inde, les édifices et les rituels hindous peuvent donc jouer un puissant rôle de revendication régionale et/ou d’affichage dans l’espace publique de différents statuts (castes). Cependant, dans pratiquement tous les contextes de l’hindouisme hors de l’Inde, celui-ci a plutôt émergé comme que facteur déterminant de conscience ethnique et de mobilisation communautaire globale parmi les immigrés hindous et leurs descendants.
Aux Etas-Unis, la création en 1977 du premier temple hindou à New York répondait au besoin communautaire d’activités culturelles hindoues afin de maintenir leur identité face à l’assimilation américaine. La centaine de temples américains qui sont aujourd’hui bâtis servent bien entendu à rendre un culte, à méditer, à organiser des évènements socio-communautaires importants (comme les mariages, les anniversaires, et les cérémonies funéraires), mais également à transmettre l’éducation hindoue aux générations suivantes ou à enseigner l’anglais aux nouveaux immigrés. Il ne s’agit donc pas simplement de lieux de culte, mais de centres culturels pour le rassemblement, l’apprentissage, et la transmission d’une culture.
Aux Caraïbes, des formes homogénéisées de culture et de religion apparaissent pour faciliter la cohésion sociale parmi les hindous. Ainsi à Trinidad-et-Tobago, où l’espace socio-politique est conditionné par une longue compétition communautaire entre hindous et afro-trinidadiens consécutive de l’héritage colonial, l’organisation du culte hindou est devenue commune à échelle nationale, et la culture hindoue de Trinidad a permis d’articuler une identité ethnique partagée et de rassembler les hindous.
A Paris, où réside la majorité des Tamouls installés en France, la fête annuelle de Ganesh est une occasion de rassembler chaque année la communauté tamoule au temple, mais aussi d’afficher lors d’une procession, l’hindouisme tamoul dans l’espace public français.
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En reproduisant leurs rites traditionnels les Tamouls renforcent leur appartenance communautaire et revitalisent leur identité hindoue. En outre, à travers cette procession, ils affichent dans l’espace public parisien la grandeur de leur culture religieuse mais aussi leur identité, l’importance de leur nombre, et enfin l’éventualité de la durabilité de leur installation dans le pays d’accueil.
Notons qu’une grande partie des hindouistes tamouls participant à cette fête ne sont pas tous indiens d’origine. La communauté sri-lankaise (dont 10% sont réfugiés politiques) fournit en effet une grande partie des participants. Aussi, les réseaux sociaux activés pour l’évènement mobilisent d’avantage de prêtres venant du Sri Lanka et de l’Océan Indien que de brahmanes indiens. (La procession est d’ailleurs une occasion tout particulière pour obtenir des dons pour la TRO (Tamil Rehabilitation Organisation), organisation non gouvernementale destinée à aider les Tamouls du Sri-Lanka).
C’est donc une communauté transnationale qui se retrouve au temple parisien de Ganesh dont la fête reflète, au moins en partie, la complexité de l’histoire migratoire des Tamouls hindouistes.
Aussi, si la nature et les degrés de l’identification et du rassemblement communautaires autour de l’hindouisme varient selon les contextes des pays d’accueil, l’identité et son affichage symbolique dans l’espace social restent les principales fonctions des temples hindous hors de l’Inde.
3) Migrations des hommes et migrations des dieux : pour une géographie réticulaire de l’hindouisme transnational
Comme nous l’avons vu, la religiosité des divinités revêt très souvent en Inde une dimension territoriale et un fort ancrage géographique, (concernant aussi bien les déesses tutélaires de villages que les pèlerinages). Nous venons également de souligner que les temples hindous sortent de l’Inde. Aussi, une analyse de la migration ou de la reproduction des divinités dans de nouveaux espaces doit pouvoir informer de manière plus fine sur la nature des mutations de la géographie de l’hindouisme, et voir comment des cultes intensément localisés par des hiérophanies et des constructions territoriales, peuvent quitter leurs sanctuaires traditionnels indiens. Les territoires religieux (« kshetra[9] » en sanskrit) des divinités, pourraient alors prendre une dimension transnationale recomposant, diffusant et modifiant l’ancrage traditionnel des dieux hindous en Inde. Prenons les exemples de Ganesh et Murugan, les deux fils du dieu Shiva, ainsi que celui de Mariyamman, traditionnelle déesse tutélaire de villages.
Dans l’hindouisme tout commence avec Ganesh, le dieu très populaire à tête d’éléphant. Les hindous doivent lui adresser leurs premières prières dans tout temple shivaïte. Paradoxalement, si les temples shivaïtes ont tous un petit temple pour Ganesh le nombre de grands temples lui étant exclusivement dédiés sont peu nombreux en Inde (12% en 1961 au Tamil Nadu d’après les sources officielles). Or en France et aux Etats-Unis, les premiers temples hindous construits ont été dédiés à Ganesh (1977 à New York, 1985 à Paris). Cette divinité suit donc la migration des hommes mais sa primauté cultuelle et rituelle semble modifier un premier aspect de la géographie traditionnelle des temples de Ganesh, à savoir la faible proportion de ses temples.
Autre mutation notable, à Kuala Lumpur et Bangkok, les temples de Mariyamman (traditionnelle déesse tutélaire de villages) sont aujourd’hui d’importants symboles de l’identité hindoue en Malaisie et en Thailande, montrant une divinité de village parvenir à posséder des temples publiques d’ampleur nationale et non plus locale comme c’est normalement le cas en Inde.
Murugan voyage également très bien hors de l’Inde, surtout lorsque les Tamouls sont correctement représentés dans le pays d’accueil. En Inde, les Tamouls hindouistes ont déjà conscience du potentiel migratoire de leur divinité.
A la Réunion, le travail de l’anthropologue Jean Benoist a montré que non seulement les Tamouls sont parvenus à y réédifier le culte de Murugan, mais que c’est aussi grâce à lui que l’identité religieuse tamoule est parvenue à se reconstruire.
Quant au territoire de Murugan (kshetra) et de ses temples, ils semblent pouvoir s’organiser en réseau (ou en archipel) à échelle mondiale en dépassant les frontières indiennes. En Inde, une certaine tradition consiste à bâtir des répliques de temples. Cette formule est de plus en plus répandue, notamment en milieu urbain afin de rendre plus accessibles des lieux saints trop éloignés. (Les lieux ainsi créés ne relèvent donc pas à proprement parler d’une hiérophanie ou d’une théophanie, ce que les prêtres des temples de référence sont loin de cautionner unanimement mais qui n’empêche pas pour autant la popularité de ce type de temples).
Dans l’agglomération de Chennai (ex-Madras), un temple de Murugan achevé en 2002, rassemble dans son sanctuaire les répliques des six grands centres de pèlerinage de la divinité répartis aux quatre coins du Pays Tamoul. Or son fondateur et le temple lui-même incarnent parfaitement la nature transnationale de l’hindouisme d’aujourd’hui.
En effet cet homme fut également à l’origine du premier temple hindou des Etats-Unis dédié à Ganesh. Installé à New York et appartenant à la caste des Nattukottai Chettiars (caste de commerçants du sud de l’Inde reconnus comme traditionnels bâtisseurs de temples), il a su mobiliser un réseau social transnational pour fonder ce temple. Il est parvenu à obtenir la bénédiction l’autorité spirituelle de Kanchipuram (ville-temple majeure du Pays Tamoul), à obtenir un terrain par le Chief Minister du Tamil Nadu, à employer un architecte indien (« sthapati ») mondialement reconnu, et à réunir des fonds internationaux provenant principalement de l’Hindu Temple Society de New York.
La structure du temple reflète elle aussi la nature transnationale de l’hindouisme. Le temple rassemble dans une métropole indienne six temples régionaux autour d’un temple de Ganesh qui est conçu comme une réplique du temple new-yorkais qui lui est dédié. Même son mode d’administration suit cette logique transnationale dans la mesure où le temple n’est pas géré par le gouvernement comme la plupart des grands temples du Pays Tamoul, mais par une association privée d’hindous vivant ou ayant vécu aux Etats-Unis. La trésorière du temple, qui possède une « green-card » américaine, le définit d’ailleurs comme un temple de NRI (Non Resident Indian).
Il s’agit donc ici d’une production locale d’un temple en Inde, créé par la transnationalisation de l’hindouisme et des communautés hindoues, elle-même incarnée par l’action d’un migrant mobilisant une économie globale et un réseau transnational.
Ce type de mobilisation transnationale des communautés d’origine indienne autour de l’hindouisme sert aussi parfois le fondamentalisme hindou en Inde. En effet, l’ancrage de l’hindouisme en Inde et le patriotisme envers la « Mère Inde » (Bhārat Mātā) sont repris par certaines organisations radicales hindouistes comme la Vishva Hindu Parishad (VHP, « Assemblée hindoue universelle »), l’Arya Samāj (« Société des Aryas »), et le puissant parti politique Bharatiya Janata Party (BJP, « parti du peuple de Bhārat »), prônant une redéfinition de la citoyenneté indienne qui se baserait uniquement sur l’« hindouité » (hindutva).
Or la mondialisation permet à ces organisations national-hindouistes de trouver des assises solides dans la « diaspora » hindoue, qui se reconnaît une conscience de « communauté imaginée », pour servir leurs projets localisés en Inde. Le cas du temple du dieu Rama à Ayodhya fournit un très bon exemple.
Le 6 décembre 1992, des groupes de fondamentalistes hindous ont violemment détruit la mosquée Babri Masjid d’Ayodhya en Uttar Pradesh pour y reconstruire à la place le temple de Rama. Cet évènement ainsi que les émeutes interreligieuses qui suivirent, ont entraîné une intense mobilisation des hindous de l’étranger, à travers des débats et des échanges d’informations notamment aux Etats-Unis, au Canada, en Angleterre, et dans diverses parties de l’Inde. Mais les hindous étrangers contribuent aussi de façon plus directe aux projets national-hindouistes. De nombreuses donations pour la reconstruction du temple de Rama vinrent en effet de l’étranger sous diverses formes. Ce temple est désormais prêt à être reconstruit à Ayodhya, mais la prudence des différents gouvernements indiens qui se sont succédés depuis en retarde la construction de peur de réveiller les tensions communautaires[10].
Cet exemple d’un patriotisme transnational reflète un autre aspect des changements de l’hindouisme, radical cette fois-ci, dont l’idéologie politico-territoriale sait tirer parti de la mondialisation, à travers la mobilisation d’une partie de la « diaspora » hindoue et l’intensification des échanges à échelle mondiale.
Conclusions
Les fonctions de rassembleur communautaire et d’affichage identitaire par les temples sont effectives en Inde comme à l’étranger, bien que localement les rôles socio-religieux des temples hindous hors de l’Inde varient en degrés et en natures. Parallèlement et consécutivement à ces installations, l’hindouisme s’organise désormais en réseaux transnationaux.
Mais la diffusion de l’hindouisme revient en Inde malgré la mutation de sa géographie, principalement redessinée par la multiplication de temples hors de la traditionnelle terre sainte. L’Inde demeure donc le pôle religieux de référence et reste le sanctuaire hindou par excellence, quitte à entretenir également certaines aspirations du radicalisme religieux.
[1] Source : Census of India de 2001.
[2] Population estimée en 2003 d’après l’Encyclopedia Britannica, Book of the year, 2004, Events of 2003.
[3] A l’époque sous le nom à d’ « Etat de Madras » mais dont les limites coïncident avec le Tamil Nadu (« Pays Tamoul ») actuel.
[4] Nous ne nous intéressons pas ici aux mouvements migratoires frontaliers dans le sous-continent indien car ils n’éclairent pas réellement sur les effets de la mondialisation sur la géographie de l’hindouisme. Retenons que l’Inde compte 827 millions d’hindous (Census of India 2001) ; Népal 19 millions; Bangladesh 16 millions ; Pakistan 1 750 000 ; Bhoutan 140 000 ; et Sri Lanka 2 190 000 (Source : Encyclopedia Britannica, Book of the year, 2004).
[5] 1834 en l’Angleterre, 1846 en France, 1873 pour les Hollandais.
[6] L’Inde perdrait chaque année entre 24 et 30% de ses médecins et ingénieur diplômés.
[7] Tous les pays ne sont pas représentés, car absents des données statistiques de 2003. Par soucis de véracité cartographique, nous avons préféré ne pas mêler les données de 2003 à celles du milieu des années 1990. Selon la même source, il y avait à cette époque, 140 000 hindous au Kenya, 71 000 aux Pays Bas, 65 000 en Allemagne, 60 000 en France, 47 000 en Australie, 20 000 à la Martinique, 16 000 en Guadeloupe, 10 000 en Tanzanie, 9 000 dans les pays scandinaves, 8 000 au Portugal, 4 000 à Hong Kong, et 2000 en Suisse.
[8] Peuple dravidien originaire de l’actuel Andhra Pradesh (Inde).
[9] « Domaine féodal », « champ », « lieu sacré ». Par extension, il correspond au territoire sacré (d’une divinité par exemple).
[10] Avec « seulement » 140 millions de musulmans parmi le milliard d’indiens, l’Inde rassemble la deuxième plus importante communauté musulmane au monde.