Au Congo Brazzaville, pays situé en Afrique centrale, pluralisme politique et foisonnement religieux sont des phénomènes récents et concomitants, liés à l’ouverture démocratique, la crise économique mondiale et les nombreuses guerres civile. Aujourd’hui, le schéma accumulation- redistribution et rétribution en milieu urbain est en pleine recomposition. Ce qui amorce les mutations énormes dans l’univers religieux.
Dans le cadre de cette communication, nous présenterons d’abord le paysage religieux congolais, puis les enjeux du pluralisme religieux et de la crise urbaine dans l’univers du croire et enfin, le rôle et place des églises indépendantes dans la société urbaine congolaise.
Est-il aujourd’hui réel de croire que le Congo Brazzaville a perdu ses mystères ? Certainement pas. La structuration des enjeux qui s’imbriquent dans le paysage religieux congolais fait ressortir un ensemble de pratiques, des cultes et des rites. Ce qui laisse émerger d’ailleurs une série d’hypothèses dans le champ épistémologique. Il apparaît intéressant pour mieux saisir l’univers religieux congolais de présenter la perspective historique de l’implantation des églises chrétiennes au Congo.
A travers cette communication, l’objectif visé est de se demander comment les dynamiques religieuses qui produisent des communautés de croyants s’insèrent dans les transformations sociales et culturelles au Congo Brazzaville.
Aperçu historique de la christianisation et la diversification religieuse au Congo
Deux phases d’évangélisation peuvent être identifiées au Congo.
La première phase, débutée au XVIe siècle au Royaume Kongo est celle de l’arrivée des missionnaires et franciscains portugais, les capucins italiens et espagnols et les jésuites portugais . (1) . Cette phase permet d’entretenir les liens fructueux entre le Portugal et le Kongo et la conversion des populations à la religion nouvelle et de rehausser le prestige des dignitaires politiques avec les baptêmes massifs dans les rangs des indigènes. Cette première phase est aussi celle de l’apparition d’un prophétisme autonome avec Kimpa Vita, surnommé Dona Béatrice à partir de 1702. (2).
La seconde phase débute au XIXe siècle avec les nouvelles missions chrétiennes qui tentent de s’implanter en terre africaine abandonnée, mystérieuse pour évangéliser les populations indigènes et leur proposer l’amour du Christ. Cette nouvelle phase amorce la colonisation proprement dite. Les églises chrétiennes missionnaires trouvent des appuis dans les colonies. C’est ainsi que dans le cas du Congo, les missions catholiques françaises se densifient à partir de 1883 dans le Sud du pays (Pool, Brazzaville, Loango) et le Nord (Liranga, Leketi, Boundji), alors que les missions protestantes suédoises, norvégiennes et finlandaises s’implantent dès 1906 dans le Sud- ouest (Mansimou, Ngouedi, Mantsimou, Madzia, Loubeti, Indo, Madouma, Kolo) et ans une moindre mesure au centre (Djambala, Gamboma, Owando, Inkouele, Ewo…). (3)
Ces deux phases ont facilité le contact des populations indigènes avec les missionnaires. Ce qui aura des répercussions énormes dans les années à venir sur le plan de la cohabitation des croyances, permettant ainsi la multiplication des sectes religieuses dans la période de l’entre- deux- guerres mondiales.
Multiplication des églises indépendantes ou messianiques au Congo
Dans la période de l’entre-deux- guerres mondiales, le Congo Brazzaville est marqué par une alternance de périodes d’expansion et de rétraction de l’offre et de l’influence religieuse selon le contexte politique. C’est une période d’incubation religieuse dans cette colonie française. (4)
Trois courants surgissent dans le champ religieux congolais de cette époque : le Kimbanguisme, le Matsouanisme et le Ngunzisme. Ces courants revendiquent d’une part la fondation des églises autochtones, et d’autre part des nouvelles formes d’irrédentisme organisé. C’est donc dans la continuation de la tradition africaine dans le christianisme que ces églises prophétiques se développent.
Le Kimbanguisme est un mouvement né au Congo belge voisin, avec Simon Kimbangu. Les discours colonialistes l’on toujours considérés comme un « thaumaturge illuminé», « guérisseur fanatique » , « xénophobe dangereux », « provocateur », « malade mental » (5). Ces discours font de lui, le fondateur d’un mouvement politique dont les principes seraient la xénophobie, le refus de paiement de l’impôt, la révolte violente, la subversion et le renversement du système colonial. Pour ses fidèles, Simon Kimbangu est un génie créateur, un producteur de sens. Ceci se comprend aisément dans la mesure où, il a essayé de concevoir l’épanouissement de l’homme noir de sa société en général et l’Inculturation de l’Evangile en Afrique noire d’autre part. Il reste une figure emblématique dans l’émergence des courants ngunzistes au Congo Brazzaville.
Le Matsouanisme reste une spécificité du Congo Brazzaville. Ce mouvement religieux incarné par André Matsoua a incarné la résistance à la colonisation, jusqu’à l’arrestation de son leader et sa disparition en 1942. Mais, depuis les indépendances, le Matsouanisme reste une composante importante dans les ville congolaises, intégrant les nouveaux cultes syncrétiques.(6). L’imaginaire autour de ce Messie a donné naissance à une conscience collective et active de mobilisation et de protestation.
La doctrine ngunziste semble à la fois bridée et sous- estimée dans les villes congolaises. Les mouvements ngunzistes sont dirigés par des prophètes qui s’efforce de délivrer les peuples de la domination et de l’oppression. Le Ngunza (Messie ou Prophète) a pour mission de rétablir l’ordre , instaurer l’unité et mettre fin aux maux et à toutes les infériorités dont souffre le peuple. Le Ngunza réclame, au nom du peuple, le droit de respecter sa mentalité, ses aspirations et sa culture. Il s’agit d’assurer la régulation de l’ordre social. Comme partout en Afrique, le Ngunza ou le Messie apparaît moins rédempteur que médiateur pour son peuple, et on attend de lui, la grâce, le salut et un surcroît de vie matérialisée. (7)
Le développement du prophétisme semble transformer le messianisme en une idéologie socio- politique, moulée dans la religion, un syncrétisme opéré à partir du christianisme et de l’animisme traditionnel. Les églises prophétiques congolaises semblent s’ouvrir vers une modernité mondialiste. Les cultes néotraditionalistes se développent sous forme de minuscules églises indépendantes de la mouvance « boula mananga » (8)
Implantation des églises transnationales au Congo
La christianisation du Congo a favorisé l’implantation des églises catholiques et protestantes. Ces deux églises vont connaître un développement sans conteste. Mais, avec Révolution congolaise de 1963 s’ouvre une période d’anticléricalisme virulent. La doctrine marxisme- léninisme ne permet pas le pluralisme religieux.
Dès 1977, sept églises demeurent autorisées au Congo. Il s’agit de : trois églises historiques (Catholique, Protestant, Salutiste), deux églises prophétiques autochtones (Kimbanguisme, Lassysme ),le Comité islamique du Congo (Islam) et une église d’origine japonaise (Tenrikyo). Les églises indépendantes sont officiellement interdits. Ce qui renforce l’implantation paroissiale des églises historiques qui tentent de couvrir l’espace urbanisé d’un maillage complet.
Mais, avec l’ouverture démocratique des années 1990, les acteurs religieux peuvent désormais mener ouvertement des campagnes d’évangélisation, organiser publiquement des cultes, des cours bibliques et pratiquer les prières de guérison. Cette nouvelle dynamique religieuse est marquée simultanément par une tendance à la diversification d’apparence anarchique et à des regroupements stratégiques d’églises.
La montée en puissance du mouvement pentecôtiste dans les villes congolaises, fait de Brazzaville une terre de sectes . Désormais, on trouve non seulement les églises historiques, les mouvements prophétiques ou messianiques, mais aussi des églises de Réveil transnationales (Eglise de Philadelphie, Voie Universelle, Communauté des Saints, Eglise de la Victoire, Chapelle des vainqueurs…), les Témoins de Jéhovah, les as de pique, Yoguochi…
Les Congolais en quête de supériorité, d’initiation sont nombreux dans les ordres comme l’AMORC (Rose Croix), les Templiers, la Fraternité blanche Universelle, la Franc- maçonnerie, la Nouvelle Mahikari…
Au regard de cette présentation du paysage religieux congolais, force est de constater que la montée en puissance des églises pentecôtistes, le déclin des églises historiques et prophétiques en milieu urbain pose une nouvelle problématique de recherche au Congo. Il s’agit donc de chercher à comprendre les dynamiques de réappropriation de l’univers religieux et l’éveil du mouvement pentecôtiste au Congo. La diversification des cultes et la prolifération des églises transnationales s’inscrivent comme des réponses à la crise urbaine et à la dislocation social. Il est difficile, voire impossible de déterminer avec exactitude le nombre des églises qui se sont installées dans les villes congolaises.
Le Congo Brazzaville présente actuellement une situation marquée à la fois par des effets des crises socio- économiques et des mutations culturelles d’une part et, d’autre part par les conséquences des conflits politiques de ces dernières années. C’est dans ce contexte de triple crises, de marasme persistant, d’évolution des représentations populaires de fin d’espoirs politiques que se développent de nouveaux lieux de recomposition urbaine. Les églises indépendantes pentecôtistes qui se multiplient dans les villes congolaises ne dépendent pas toujours de la hiérarchie des grandes églises existantes et sont souvent fondées par des « pasteurs éveillés ».
Les fondements du pluralisme religieux au Congo Brazzaville sont perceptibles au regard des enjeux économiques, sociaux, politiques et culturels. Derrière l’apparente anarchie des églises se dessinent des connexions en réseaux qui donnent au champ religieux renouvelé, une plus grande visibilité et influence croissante dans le champ social. Il s’impose la nécessité de comprendre les dynamiques religieuses qui s’imbriquent dans la société urbaine.
Les fondements économiques du foisonnement religieux
D’après une enquête menée à Brazzaville par des sociologues congolais, on dénombrait dans six des sept arrondissements de Brazzaville, en plus de 40 paroisses des grandes églises instituées, plus de 250 nouveaux lieux de cultes d’églises indépendantes de natures diverses ( néotraditionnelles, prophétiques, pentecôtistes, sectes transnationales, etc. ) . (9)
De nombreux observateurs estiment aujourd’hui que la multiplication des églises indépendantes est une des réponses à la crise économique qui gagne la capitale congolaise. En effet, le développement de chômage des jeunes urbains et sa généralisation constituent autant de tendances lourdes pour une plus grande performance de l’activité économique. L’intériorisation de l’exclusion en milieu jeune implique la logique d’entraide, de réciprocité, de solidarité et de redistribution. (10). Du fait de cette exclusion entraînant la précarité économique, la montée en puissance des stratégies de repositionnement dans le monde religieux s’observe par la créativité religieuse prolifique dans l’espace urbain.
Les jeunes urbains clochardisés, souvent diplômés sans emploi rivalisent d’ardeur et d’imagination dans les métiers de Serviteurs de Dieu. Beaucoup de ces pasteurs sont des universitaires, qui ont été formés en Occident ou sur place, des fidèles immigrés venus de Kinshasa (RDC) et autres déclassés sociaux convertis. La mise en place des structures religieuses permet aux élites responsables de s’approprier des recettes des offrandes, des dîmes et autres dons des fidèles. Cette réalité de valorisation des biens économiques permet de voir de nombreux « faux pasteurs » qui s’enrichissent sans conteste.
Au regard du caractère économique que prend la création des lieux de cultes, il est rare de traverser les quartiers de la capitale congolaise, Brazzaville les après- midi ou les dimanche sans entendre les échos de musique religieuse, croiser des groupes de fidèles dans l’adoration, les séances de prière de guérison… Les lieux de culte sont des anciens bars- dancings, cinémas reconvertis, des grands hangars, chapelles de bois, les cours vides des parcelles inhabitées… Certaines prières de guérison miracles se déroulent dans les chambres d’hôtels, etc.
Les fondements socioculturels du pluralisme religieux
Aujourd’hui, c’est au sein des églises dites de Réveil que se trouvent une population désœuvrée et une jeunesse oubliée et livrée à elle- même. Ce regain d’intérêt est lié au fait que, les mouvements religieux de la mouvance charismatique se retrouvent dans les milieux urbains pour redonner un sens à la vie, en transformant les problèmes urbains dans un avenir meilleur. Le succès des églises pentecôtistes en vogue dans les villes congolaises provient de leur capacité à accompagner l’éclosion de nouveaux modes de rapports interindividuels et d’apporter une légitimation religieuse à l’autonomie du sujet. (11)
Ces églises permettent une forte implication et une identification émotionnelle avec Dieu, le Christ et ses Saints, ainsi que l’apparition de relations extrêmement fortes avec les autres membres de la Communauté. La crise urbaine qui dénature les valeurs communautaires (individualisme montant, multiplication des conflits, rivalités d’intérêts, désagrégation des familles…) est résorbée par les pasteurs qui font des lieux de culte, des espaces sociaux qui remplissent les fonctions compensatrices et régulatrices des tensions urbaines. Dans ce contexte, les centres de prières constituent des tentatives de réorganisation sociale, agissant à l’inverse des processus suscitant l’émiettement des communautés et le relâchement de la cohésion.
Le recours au religieux est devenu une alternative pour les populations urbaines dans le tissage des liens confraternels et des réseaux d’influence. Ces populations tendent de plus en plus à construire ou à conforter leur statut social et à résoudre les problèmes quotidiens par l’activisme religieux (malheur, infortune, maladie…). Il s’agit là des moyens de revitaliser les vies chrétiennes et de restaurer la vitalité des églises indépendantes. Les églises de Réveil se présentent comme des lieux de guérison sociale, où la solidarité joue à plein et où se recréent les liens rompus dans la crise des modes de fonctionnement familiaux. Cette tendance à la socialisation est soutenue à travers l’assistance moral (funérailles, maladie) et matériel (cotisation, entraide…).
Les fondements socio- politiques
Depuis 1990,le contexte socio- politique a fortement contribué à la dégradation des valeurs de références. L’enrichissement des dignitaires politiques et la monopolisation du pouvoir amorcent une nouvelle conjoncture politique. Excédées par l’hyper-inflation et les tribulations politiques, les masses urbaines sont devenues les initiateurs de la redistribution des richesses. Face aux atermoiements de la transition politique, la frustration des élites et les incohérences politiques ont engendré des guerres aux conséquences multiples. (12).
La transformation des représentations sociales, la dynamique conflictuelle ayant conduit à la faillite de l’Etat, l’aggravation de la dette, le développement du néopatrimonialisme, les détournements et les déséquilibres budgétaires marquent le champ social congolais des années 1990. Désormais, les lieux de cultes deviennent des espace de cloisonnement politique, où les acteurs se retrouvent pour mettre en place des stratégies de conquête et /ou de conservation du pouvoir.
La réappropriation de l’univers religieux par les leaders politiques ne permet pas d’affirmer la neutralité des églises indépendantes. La tendance forte de récupération de ces lieux de culte comme des relais pour acquérir le capital électoral transforme l’église en champ de forces mystiques, capables d’étayer l’ascension politique. (13).
Mais, depuis que les luttes politiques ont pris la forme de tensions ethnorégionales, l’instrumentalisation politique des responsables des Assemblées chrétiennes est devenue en vogue. L’apolitisme des hommes d’églises ne cesse de succomber devant les séductions politiques.
Le foisonnement religieux au Congo Brazzaville peut être considéré comme une forme de réponse des populations à la dislocation sociale urbaine. Toutes les églises, quelle que soit leur nature, favorisent une promotion sociale et souvent une prise d’autonomie des jeunes désormais impossible dans le contexte politique, économique et socioculturel de l’espace urbain.
Le développement anarchique des églises de diverses obédiences dans les villes congolaises soulève une série de question : pourquoi tant de mouvements religieux ? Quel est la contribution de ces églises dans le développement du pays ? Toutes les églises se valent-ils ?
Toutes ces questions mettent en lumière des approches analytiques différentes. Les angles de perception sociologique du phénomène religieux au Congo se sauraient échapper à ce questionnement. Cependant, au regard de notre orientation dans ce travail, nous ne saurons répondre à ces interrogations. Nous insisterons ainsi sur les approches analytiques du pluralisme religieux, les discours évangélistes des églises de Réveil et enfin la place des églises indépendantes dans la recomposition des identités urbaines.
Approches analytiques du foisonnement religieux
Le foisonnement religieux dans l’espace urbain congolais se donne à lire selon deux perspectives : une approche matérialiste ou utilitariste et une approche anthropologique. La dimension spirituelle demeure la cheville ouvrière des deux approches.
Le premier volet (approche matérialiste) est soutenu par les enjeux économiques. Les exclus sociaux accablés par les effets de la pauvreté créent des églises dans le seul but de régler le problème de chômage, d’insuffisance de revenus ou encore d’insatiabilité. La volonté des leaders spirituels de convaincre et de se convaincre du pouvoir de transformation des mentalités est une évidence. Les prédications tournent autour de la prospérité, la richesse, l’argent, les offrandes, les dons… Certains pasteurs imposent à la Communauté de leur octroyer un salaire. L’utilisation de la Bible à des fins de réhabilitation socio- professionnelle n’est plus à démontrer dans les villes congolaises. (14)
Le deuxième volet consiste à considérer que les mouvements de Réveil véhiculent des imaginaires et des nouvelles formes de subjectivité. Ils ont une signification politique et un impact sur les changements historiques. Ce sont les modes de subjectivation par lesquels les membres se constituent en tant que sujets moraux, prônant des conduites de vie et des stylistiques de l’existence.
Ainsi, face au rejet de la famille pour cause de chômage, au déclassement social, à l’exclusion, les gens se trouvent dans les églises de Réveil un autre type de discours qui valorise l’individu et qui propose des voies de sortie. A travers une théologie narrative fondée sur l’expérience, l’individu trouve le réconfort. ([i]15)
Discours évangélistes des églises de Réveil
Le message pentecôtiste permet aux adeptes de trouver des réponses aux mystères de l’existence. Il prédit le futur leur rassurant sur les effets positifs de leurs prières. A travers les sermons, les pasteurs fournissent des discours d’espoir et de salut, comme des alternatives aux problèmes sociaux et économiques et aux tensions que la plupart des membres expérimentent quotidiennement en milieu urbain.
Les églises de Réveil dans la plupart des cas diffusent de discours largement adaptés au public urbain en situation de crise : perte des repères, disparition des valeurs sociales, prolifération des pandémies , crainte des maladies, etc. Elles servent de lieu de recomposition des crises urbaines à travers les multiples réponses sociales. Le martèlement du discours sur la sanctification agit sur l’individu qui y apprend ainsi à rêver sur la possibilité d’une résolution imminente ou très prochaine de son problème. Le chrétien expérimente l’abandon du vol, de la corruption, des pratiques illicites pour se confier à Dieu .
Le mouvement pentecôtiste accompagne l’aspiration à l’ouverture, la mobilité et la promotion de nouvelles générations qui se trouvent évincées de la sphère sociale. Il fait notamment preuve d’une exceptionnelle capacité d’insertion des jeunes dans les réseaux internationaux , par le biais des échanges : invitations, tournées de prédication, voyages, congés et autres conventions de foi mondiale. Dans les grandes villes congolaises, les jeunes viennent dans ces lieux de prière dans l’attente d’un miracle : obtention d’un visa de sortie pour l’Occident, embauche, promotion professionnelle, acquisition de biens matériels (voiture, téléphone, villas…). Les schémas d’interprétation de la pauvreté, de l’insuccès ne sont pas les mêmes.
Place des églises indépendantes dans la recomposition des identités urbaines.
Les églises de Réveil connaissent aujourd’hui un succès croissant dans les villes congolaises. Le recours au religieux est le moyen qui permet aux couches défavorisées de faire face aux difficultés croissantes de la vie quotidienne liées à la crise économique, au délitement politique, à la crise des familles et au désœuvrement des jeunes. (16). Les affiliations religieuses demeurent seules pourvoyeuses de repères, de sens et de solidarité élargie.
Les églises apparaissent aujourd’hui comme des véritables lieu de recomposition de la société civile. Elles semblent être les instruments de la promotion intégrante de l’homme pour éradiquer le mal à la racine. L’engagement des églises au service du peuple et du pays répond à la mission qu’elles assignent à la lumière de l’Evangile. Elles inscrivent leur combat dans la cohérence du magistère moral et politique en tant qu’institutions. Elles demeurent partie prenante des aspirations de paix, de gestion et de prévention des conflits et de défense des droits humains.
Le foisonnement religieux au Congo Brazzaville s’inscrit dans le contexte de crise multidimensionnelle. Les sectes ont tendance de devenir des églises bien structurées. Il en résulte des tendances perverses, auto- mutilantes et culpabilisantes qui régentent la vie sociale urbaine.
Les églises pentecôtistes se présentent aujourd’hui comme des lieux où se construisent et se façonnent des identités, des opinions et des comportements nouveaux. Pour les populations urbaines, la frustration, la souffrance et le sentiment de ne pouvoir résoudre le paradoxe éthique deviennent des défis majeurs.
NOTES
1 Une littérature abondante fait mention de cette christianisation du Royaume Kongo. On se référera de :
-BALANDIER, G., La vie quotidienne au Royaume Kongo du XVIe au XVIIIe siècle, Paris : Hachette 1965
- RANDLES, W.G.L., L’ancien royaume du Congo, Paris, Mouton, 1968
- CUVELIER, J., Relations sur le Congo du P. Laurent jacente, 1747, Louvain, AUCAM. 1968
2 Le mouvement antonien fondé par Kimpa Vita est le plus important mouvement messianique. Il intervient dans un contexte de crise marqué par les querelles entre les dynasties Kimpanzu et Kinlaza d’une part et celles qui opposent les Jésuites portugais aux Capucins italiens et espagnols. Sous la bannière de Saint- Antoine, Kimpa Vita circule à travers le Kongo, fait des prodigues, prêche la restauration du royaume, parle contre les missionnaires, le pape et les sacrements de l’Eglise. Elle a fini par transformer le Salve Regina en Salve Antoniana , tourné en folie superstitieuses, hérétiques, idolâtre et blasphématoire pour les missionnaires. Elle enseigne en même temps que Jésus Christ est né à Mbanza Kongo (Nouveau Bethléem), qu’il avait été baptisé à Nsundi (Nazareth ) et que ses apôtres étaient des Noirs. Cette naturalisation de la religion chrétienne, avec transposition géographique du drame chrétien semble être accompagnée d’une valorisation des Noirs.
3 Lire à ce sujet : BOUCHAUD., J., 1958, L'Eglise en Afrique, Paris, La Palatine, 188p.
- GUILLAUME., P., 1974, Le monde colonial: XIXe- XXe siècle, Paris, A.Colin,.
- BOUCHER, A. 1928, (Mgr), Au Congo- français: les missions catholiques. Paris, Pierre Tequi,
4 BALANDIER, G., Sociologie actuelle de l’Afrique noire, Paris, PUF, 1955
5 ASCH, S., L’Eglise du prophète Kimbangu, Paris, Karthala. 1983, p.44
6 SINDA, M., Le messianisme congolais et ses incidences politiques. Paris, Payot, 1972
7 Cf. EBERHARDT, J., « Messianismes en Afrique du Sud », Archives de Sociologie des Religions n°4, 1972, pp.31-56.
- NEHER, A., L’essence du prophétisme, Paris, Calmann Levy, 1972
8 DORIER APPRIL, E., KOUVOUAMA, A., « Pluralisme religieux et société urbaine à Brazzaville », Afrique contemporaine, n° 186, avril- juin 1998, pp. 58- 76
9 Cette enquête menée entre décembre 1995 et avril 1997 a été l’œuvre de Dorier Appril et Abel Kouvouama. Les travaux de Joseph Tonda et de Patrice Yengo dans ce cadre du pluralisme religieux de la société urbaines congolaises semblent confirmer cette diversification des lieux de cultes.
10 CLAVEL, C., La société d’exclusion. Comprendre pour s’en sortir. Paris, L’Harmattan, 1998
11 Lire à ce sujet, CORTEN, A., MARY, A., Imaginaires politiques et pentecôtismes , Paris, Karthala. 2000
12 OBENGA, Th., L’histoire sanglante du Congo B., Paris, Présence africaine, 1998
13 GRUENAIS, M.E, MOUANDA MBAMBI, F., TONDA, J., « Messies, fétiches et lutte de pouvoirs entre les grands hommes du Congo démocratique », Cahiers d’études africaines, vol. XXXV, n°137, Paris, 1994, p.163-194
14 DORIER APPRIL, E., « Les enjeux socio- politiques du foisonnement religieux à Brazzaville », Politique africaine n° 64, Paris, Karthala 1998, pp. 58- 76
15 CORTEN A, MARY, A., Imaginaires politiques et pentecôtismes , Paris, Karthala, 2000, pp.143-163
16 DORIER APPRIL, E., KOUVOUAMA, A, Vivre à Brazzaville. Modernité urbaine et crise au quotidien, Paris, Karthala 1998,