CESNUR - Centro Studi sulle Nuove Religioni diretto da Massimo Introvigne
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CESNUR 2005 International Conference
June 2-5, 2005 – Palermo, Sicily
Religious Movements, Globalization and Conflict: Transnational Perspectives

Foisonnement religieux et crise urbaine au Congo Brazzaville

Etanislas Ngodi (Marien Ngouabi University, Congo)

A paper presented at the 2005 CESNUR Conference in Palermo, Sicily. Preliminary version – do not reproduce or quote without the consent of the author.
Introduction

Au  Congo  Brazzaville, pays  situé  en Afrique  centrale, pluralisme  politique  et  foisonnement  religieux  sont  des  phénomènes  récents et  concomitants, liés à l’ouverture démocratique, la crise  économique  mondiale et  les  nombreuses    guerres civile. Aujourd’hui, le  schéma  accumulation- redistribution  et  rétribution  en   milieu  urbain  est  en pleine  recomposition. Ce  qui  amorce  les  mutations énormes  dans  l’univers  religieux.

Dans  le  cadre  de  cette  communication, nous  présenterons  d’abord  le  paysage  religieux  congolais, puis les  enjeux du pluralisme religieux et   de  la  crise  urbaine dans  l’univers   du  croire  et  enfin, le  rôle et place des  églises  indépendantes  dans  la  société  urbaine  congolaise.

1- Paysage  religieux  congolais

 Est-il  aujourd’hui  réel  de croire  que le Congo  Brazzaville  a  perdu  ses mystères ? Certainement pas. La  structuration  des  enjeux  qui s’imbriquent  dans  le  paysage religieux  congolais fait  ressortir  un  ensemble de  pratiques, des  cultes  et  des rites. Ce  qui  laisse  émerger  d’ailleurs une  série  d’hypothèses  dans  le  champ épistémologique.  Il apparaît  intéressant   pour    mieux  saisir  l’univers  religieux  congolais  de  présenter  la  perspective historique de l’implantation des églises chrétiennes  au  Congo.

A  travers cette  communication,  l’objectif  visé  est  de  se  demander  comment  les  dynamiques   religieuses   qui  produisent  des communautés de croyants s’insèrent dans les  transformations sociales et culturelles au Congo Brazzaville.

Aperçu historique de la christianisation et la diversification  religieuse  au  Congo  

 Deux  phases  d’évangélisation  peuvent  être  identifiées  au  Congo.

 La  première phase, débutée  au  XVIe  siècle  au  Royaume  Kongo  est  celle  de l’arrivée  des  missionnaires et franciscains portugais, les capucins italiens et  espagnols  et les jésuites portugais . (1) . Cette  phase  permet  d’entretenir  les  liens  fructueux entre  le  Portugal  et le Kongo et  la  conversion  des  populations  à  la  religion  nouvelle  et  de rehausser  le  prestige  des dignitaires  politiques  avec  les  baptêmes massifs dans  les  rangs  des indigènes. Cette première phase est aussi  celle  de l’apparition d’un prophétisme autonome avec Kimpa Vita, surnommé Dona Béatrice à  partir  de  1702. (2).

 La  seconde  phase débute au XIXe siècle avec  les  nouvelles  missions  chrétiennes qui  tentent  de  s’implanter  en  terre  africaine  abandonnée, mystérieuse  pour  évangéliser les  populations  indigènes et  leur  proposer  l’amour  du  Christ. Cette  nouvelle  phase  amorce  la  colonisation  proprement  dite. Les  églises  chrétiennes   missionnaires  trouvent  des  appuis dans  les  colonies. C’est  ainsi  que  dans  le  cas  du Congo, les  missions  catholiques  françaises se  densifient  à partir  de 1883  dans  le  Sud du  pays (Pool, Brazzaville, Loango) et  le  Nord (Liranga, Leketi, Boundji), alors que les missions protestantes suédoises, norvégiennes  et finlandaises s’implantent  dès 1906 dans le Sud- ouest (Mansimou, Ngouedi, Mantsimou, Madzia, Loubeti, Indo, Madouma, Kolo)  et  ans  une  moindre  mesure  au  centre (Djambala, Gamboma, Owando, Inkouele, Ewo…). (3

Ces  deux  phases ont  facilité  le  contact  des  populations  indigènes  avec les  missionnaires. Ce  qui  aura  des  répercussions  énormes  dans  les  années  à  venir  sur le  plan  de la cohabitation  des croyances, permettant ainsi la multiplication des  sectes  religieuses  dans  la  période  de l’entre- deux- guerres mondiales.

Multiplication des églises indépendantes  ou messianiques au Congo

Dans  la  période  de  l’entre-deux- guerres  mondiales, le  Congo  Brazzaville  est  marqué  par  une  alternance  de  périodes  d’expansion  et  de rétraction de  l’offre  et de l’influence religieuse selon le contexte politique. C’est  une  période d’incubation religieuse dans  cette  colonie  française. (4)

Trois  courants surgissent  dans  le  champ  religieux  congolais de  cette  époque :  le  Kimbanguisme, le  Matsouanisme  et  le  Ngunzisme. Ces  courants  revendiquent d’une  part la  fondation  des  églises autochtones,  et  d’autre  part des  nouvelles  formes d’irrédentisme  organisé. C’est  donc  dans  la  continuation  de  la  tradition  africaine  dans  le  christianisme que  ces  églises prophétiques  se  développent.

Le  Kimbanguisme  est  un  mouvement  né  au  Congo  belge  voisin, avec Simon  Kimbangu. Les discours colonialistes l’on toujours considérés comme un « thaumaturge illuminé», «  guérisseur fanatique » ,  « xénophobe  dangereux », « provocateur  », «  malade mental »  (5). Ces discours font de lui, le fondateur d’un  mouvement politique dont les principes seraient la  xénophobie, le  refus  de  paiement  de  l’impôt, la  révolte violente, la  subversion  et  le  renversement  du  système  colonial.  Pour  ses fidèles, Simon Kimbangu est  un génie créateur, un producteur de sens. Ceci se comprend aisément dans la mesure où, il a essayé de concevoir l’épanouissement de l’homme noir de sa société en général et l’Inculturation  de l’Evangile en Afrique  noire d’autre part. Il  reste  une  figure  emblématique dans  l’émergence  des  courants  ngunzistes  au Congo Brazzaville.

Le  Matsouanisme  reste  une  spécificité  du  Congo  Brazzaville. Ce  mouvement  religieux  incarné  par  André  Matsoua a  incarné la  résistance  à la colonisation, jusqu’à l’arrestation de son leader  et  sa  disparition  en 1942. Mais, depuis  les  indépendances,  le  Matsouanisme  reste  une  composante  importante dans  les  ville  congolaises, intégrant  les  nouveaux  cultes syncrétiques.(6). L’imaginaire  autour  de ce Messie a  donné  naissance à  une  conscience  collective et  active de  mobilisation et  de protestation.

La  doctrine  ngunziste  semble  à la  fois  bridée  et  sous- estimée  dans  les  villes congolaises.  Les  mouvements  ngunzistes  sont  dirigés  par  des  prophètes qui  s’efforce de  délivrer les  peuples de  la domination  et  de  l’oppression.  Le Ngunza (Messie  ou  Prophète)  a  pour  mission de rétablir l’ordre , instaurer l’unité  et  mettre  fin  aux maux et à toutes les  infériorités  dont  souffre  le  peuple. Le Ngunza  réclame, au  nom  du  peuple, le  droit  de  respecter sa mentalité, ses  aspirations  et  sa  culture.  Il s’agit d’assurer  la  régulation  de l’ordre  social. Comme  partout  en Afrique, le Ngunza  ou  le  Messie  apparaît  moins  rédempteur que  médiateur  pour  son  peuple, et  on  attend  de  lui, la  grâce, le  salut et  un  surcroît  de  vie  matérialisée.  (7)

Le  développement  du prophétisme  semble  transformer  le  messianisme  en une  idéologie  socio- politique, moulée  dans  la  religion, un  syncrétisme  opéré  à partir  du christianisme et  de l’animisme  traditionnel.  Les  églises  prophétiques   congolaises  semblent  s’ouvrir   vers  une  modernité mondialiste. Les  cultes  néotraditionalistes se développent sous forme de  minuscules églises indépendantes  de la   mouvance «  boula mananga » (8)

Implantation  des  églises  transnationales   au  Congo

La  christianisation  du  Congo  a  favorisé  l’implantation  des  églises catholiques  et protestantes.  Ces  deux  églises  vont  connaître  un développement  sans  conteste. Mais, avec  Révolution  congolaise  de 1963 s’ouvre  une  période d’anticléricalisme  virulent.   La  doctrine  marxisme- léninisme  ne  permet  pas  le  pluralisme  religieux. 

Dès  1977, sept  églises  demeurent  autorisées  au  Congo. Il  s’agit  de : trois  églises  historiques (Catholique, Protestant,  Salutiste), deux  églises prophétiques autochtones (Kimbanguisme, Lassysme ),le  Comité islamique  du Congo (Islam) et une  église d’origine  japonaise (Tenrikyo). Les églises indépendantes sont officiellement interdits. Ce qui renforce l’implantation  paroissiale  des  églises historiques qui tentent  de couvrir l’espace  urbanisé d’un maillage  complet.

Mais, avec  l’ouverture  démocratique  des  années  1990, les  acteurs  religieux  peuvent  désormais mener ouvertement des  campagnes  d’évangélisation, organiser  publiquement  des  cultes, des  cours  bibliques et  pratiquer  les  prières de guérison.   Cette  nouvelle  dynamique   religieuse  est  marquée  simultanément  par  une  tendance à la  diversification d’apparence  anarchique et  à des  regroupements stratégiques  d’églises.

La montée en  puissance  du  mouvement  pentecôtiste dans  les  villes  congolaises, fait  de  Brazzaville une  terre  de  sectes . Désormais, on  trouve  non  seulement  les  églises  historiques, les  mouvements  prophétiques ou  messianiques, mais aussi des églises de Réveil transnationales (Eglise de Philadelphie, Voie Universelle, Communauté des Saints, Eglise de la Victoire, Chapelle  des  vainqueurs…), les  Témoins  de Jéhovah, les  as  de pique, Yoguochi…

Les  Congolais   en  quête  de  supériorité, d’initiation sont  nombreux  dans  les ordres comme  l’AMORC (Rose  Croix),  les  Templiers, la  Fraternité blanche  Universelle, la  Franc- maçonnerie, la  Nouvelle  Mahikari…

Au  regard  de  cette  présentation  du  paysage   religieux congolais, force  est  de  constater  que  la  montée  en puissance  des  églises  pentecôtistes, le  déclin  des églises  historiques  et  prophétiques  en  milieu  urbain pose  une  nouvelle  problématique  de recherche  au Congo.  Il  s’agit  donc  de  chercher  à  comprendre  les dynamiques  de réappropriation  de l’univers  religieux et l’éveil du mouvement  pentecôtiste  au  Congo.  La  diversification  des  cultes  et  la  prolifération  des  églises  transnationales   s’inscrivent   comme  des  réponses à la crise  urbaine et  à la  dislocation  social. Il  est  difficile, voire  impossible  de  déterminer  avec exactitude le  nombre des églises qui se sont installées  dans  les villes  congolaises.

2-  Enjeux du pluralisme religieux et   crise  urbaine au  Congo

Le  Congo  Brazzaville  présente  actuellement  une  situation  marquée   à  la  fois  par  des  effets  des  crises  socio- économiques et  des  mutations  culturelles  d’une  part  et, d’autre  part  par  les  conséquences  des  conflits  politiques  de  ces  dernières années. C’est  dans  ce contexte  de  triple  crises, de  marasme persistant, d’évolution  des  représentations  populaires de  fin  d’espoirs  politiques  que  se développent de nouveaux lieux de recomposition urbaine. Les églises indépendantes  pentecôtistes    qui se  multiplient  dans  les  villes  congolaises  ne  dépendent  pas  toujours  de la  hiérarchie des  grandes  églises  existantes et  sont  souvent  fondées  par  des  «  pasteurs  éveillés ».

 

Les  fondements  du  pluralisme  religieux  au  Congo  Brazzaville sont  perceptibles  au  regard  des enjeux économiques, sociaux,  politiques et culturels. Derrière l’apparente  anarchie des églises se dessinent des  connexions  en réseaux  qui donnent  au  champ religieux  renouvelé,  une  plus  grande visibilité et  influence  croissante  dans  le  champ  social. Il  s’impose  la  nécessité de  comprendre  les  dynamiques  religieuses  qui  s’imbriquent  dans  la  société  urbaine.

 

Les  fondements  économiques du foisonnement religieux 

D’après  une enquête menée à Brazzaville par  des  sociologues  congolais, on  dénombrait  dans   six  des  sept  arrondissements  de Brazzaville, en  plus  de  40 paroisses des grandes  églises  instituées, plus  de 250  nouveaux lieux de  cultes   d’églises indépendantes de natures diverses ( néotraditionnelles, prophétiques, pentecôtistes, sectes  transnationales, etc. ) . (9)

De  nombreux   observateurs  estiment  aujourd’hui  que  la  multiplication   des  églises  indépendantes  est  une  des  réponses   à la crise  économique  qui gagne  la  capitale  congolaise. En  effet, le  développement de  chômage  des  jeunes  urbains et  sa  généralisation  constituent  autant  de  tendances  lourdes pour  une  plus  grande performance  de  l’activité économique.  L’intériorisation de  l’exclusion  en milieu  jeune implique  la  logique  d’entraide, de  réciprocité, de  solidarité et  de redistribution. (10). Du  fait  de  cette  exclusion  entraînant  la  précarité  économique, la montée   en  puissance  des  stratégies  de repositionnement  dans  le  monde  religieux  s’observe par  la  créativité  religieuse  prolifique dans  l’espace  urbain.

Les  jeunes urbains clochardisés, souvent diplômés  sans  emploi  rivalisent  d’ardeur  et  d’imagination  dans  les  métiers  de  Serviteurs  de  Dieu. Beaucoup de ces  pasteurs  sont   des  universitaires, qui  ont  été  formés  en  Occident  ou  sur  place, des fidèles immigrés  venus  de Kinshasa (RDC) et  autres déclassés  sociaux  convertis. La mise en place des structures religieuses permet aux élites  responsables  de  s’approprier des recettes  des offrandes, des  dîmes  et  autres  dons des fidèles.  Cette réalité  de  valorisation  des  biens  économiques  permet  de voir  de nombreux  «  faux pasteurs » qui  s’enrichissent  sans  conteste.

Au  regard  du caractère  économique  que  prend  la  création  des lieux de cultes, il est rare de traverser  les  quartiers  de la capitale  congolaise, Brazzaville  les  après- midi  ou les  dimanche sans entendre les  échos de musique  religieuse, croiser des  groupes  de fidèles  dans l’adoration, les  séances  de prière de guérison… Les  lieux de culte sont  des anciens bars- dancings, cinémas  reconvertis, des grands  hangars, chapelles  de bois, les  cours  vides des  parcelles  inhabitées… Certaines  prières de guérison miracles se déroulent dans les chambres d’hôtels, etc.

Les  fondements  socioculturels   du  pluralisme  religieux 

Aujourd’hui, c’est  au  sein  des  églises  dites  de  Réveil  que  se trouvent  une  population  désœuvrée  et une  jeunesse  oubliée et  livrée  à elle- même. Ce  regain  d’intérêt  est lié au fait que, les mouvements religieux de la mouvance  charismatique se retrouvent dans les milieux  urbains  pour redonner un sens à la vie, en  transformant  les  problèmes  urbains dans  un  avenir meilleur. Le  succès  des églises pentecôtistes en  vogue dans les villes congolaises provient de  leur  capacité à accompagner l’éclosion de nouveaux modes  de  rapports  interindividuels et  d’apporter  une  légitimation religieuse à l’autonomie du sujet. (11)

Ces  églises  permettent une  forte  implication et  une  identification  émotionnelle   avec Dieu, le Christ et  ses Saints, ainsi  que  l’apparition  de  relations  extrêmement   fortes  avec  les  autres membres  de  la  Communauté. La  crise  urbaine  qui  dénature  les  valeurs  communautaires (individualisme montant, multiplication des conflits, rivalités  d’intérêts, désagrégation des familles…)  est  résorbée  par  les  pasteurs qui font des lieux de culte, des espaces sociaux qui remplissent les fonctions compensatrices  et régulatrices des tensions  urbaines.  Dans  ce  contexte, les  centres  de  prières  constituent  des  tentatives  de  réorganisation  sociale, agissant à l’inverse des processus suscitant l’émiettement des  communautés et  le  relâchement  de  la cohésion.  

Le  recours  au religieux  est  devenu  une  alternative  pour  les populations  urbaines dans  le  tissage des  liens  confraternels et  des réseaux  d’influence. Ces  populations  tendent  de plus  en plus  à construire ou  à  conforter  leur  statut social  et à résoudre  les  problèmes quotidiens  par l’activisme religieux (malheur, infortune, maladie…). Il s’agit  là des  moyens de revitaliser les  vies  chrétiennes  et  de restaurer la vitalité des églises  indépendantes. Les  églises  de  Réveil  se  présentent  comme   des  lieux  de  guérison  sociale, où  la  solidarité joue  à plein et où se  recréent  les  liens  rompus  dans  la crise des modes de fonctionnement familiaux. Cette tendance à la socialisation est soutenue à travers l’assistance moral (funérailles, maladie)  et  matériel (cotisation, entraide…).

 

Les  fondements  socio- politiques 

Depuis 1990,le  contexte  socio- politique  a  fortement  contribué à la  dégradation  des valeurs de références. L’enrichissement des dignitaires politiques et la  monopolisation du  pouvoir  amorcent  une nouvelle conjoncture  politique. Excédées  par  l’hyper-inflation et les tribulations politiques, les masses urbaines sont  devenues les initiateurs de la redistribution  des  richesses. Face  aux  atermoiements  de la  transition  politique, la  frustration   des  élites  et  les  incohérences  politiques  ont  engendré  des  guerres  aux  conséquences  multiples. (12).

La  transformation  des  représentations  sociales, la  dynamique  conflictuelle ayant  conduit à la faillite  de l’Etat, l’aggravation de la dette, le  développement  du néopatrimonialisme, les  détournements et  les  déséquilibres  budgétaires  marquent  le champ social  congolais  des  années  1990. Désormais, les  lieux  de  cultes  deviennent  des  espace  de cloisonnement  politique, où  les  acteurs  se  retrouvent  pour mettre en place des stratégies de conquête et /ou de  conservation  du  pouvoir.  

La  réappropriation  de  l’univers  religieux  par les  leaders  politiques   ne  permet  pas d’affirmer la neutralité des églises indépendantes. La tendance forte de  récupération  de  ces  lieux  de culte  comme  des  relais  pour  acquérir  le  capital électoral transforme l’église en champ de forces mystiques, capables d’étayer l’ascension  politique.  (13).

Mais, depuis que les luttes politiques ont pris  la  forme de tensions  ethnorégionales, l’instrumentalisation  politique des  responsables  des  Assemblées  chrétiennes est devenue   en vogue. L’apolitisme  des  hommes  d’églises  ne  cesse  de succomber devant  les  séductions  politiques.

Le  foisonnement  religieux  au  Congo  Brazzaville peut être  considéré  comme   une  forme de  réponse des  populations à la  dislocation  sociale urbaine. Toutes  les  églises, quelle que soit   leur  nature, favorisent   une  promotion sociale  et  souvent  une  prise d’autonomie des jeunes désormais impossible dans  le  contexte politique, économique  et  socioculturel de l’espace urbain.   

3- Rôle et place des  églises  indépendantes dans la société urbaine

Le  développement  anarchique  des églises  de  diverses  obédiences  dans  les  villes  congolaises  soulève  une  série  de  question : pourquoi  tant  de mouvements religieux ? Quel est la  contribution de ces églises dans le développement  du  pays ? Toutes  les  églises  se  valent-ils ?

Toutes  ces  questions mettent  en lumière  des  approches  analytiques  différentes. Les  angles  de  perception  sociologique  du  phénomène  religieux  au Congo  se  sauraient échapper à ce questionnement. Cependant, au regard  de notre orientation  dans ce travail, nous  ne  saurons  répondre  à ces  interrogations.  Nous  insisterons ainsi  sur  les  approches  analytiques  du  pluralisme  religieux,  les  discours  évangélistes des églises de Réveil  et  enfin  la  place  des  églises  indépendantes  dans  la  recomposition  des  identités  urbaines.   

 

Approches  analytiques du  foisonnement  religieux

Le  foisonnement  religieux  dans  l’espace urbain  congolais  se  donne  à lire  selon  deux perspectives : une approche matérialiste ou utilitariste et une approche anthropologique. La dimension spirituelle demeure la cheville ouvrière des deux approches. 

Le  premier volet (approche matérialiste) est  soutenu  par  les  enjeux  économiques. Les exclus  sociaux  accablés  par  les  effets  de la pauvreté  créent  des  églises  dans  le seul  but  de  régler  le problème  de chômage, d’insuffisance de revenus  ou  encore d’insatiabilité. La  volonté des  leaders  spirituels  de convaincre  et de  se  convaincre  du  pouvoir  de  transformation des  mentalités  est  une  évidence. Les  prédications  tournent  autour  de la  prospérité, la  richesse, l’argent, les  offrandes, les  dons… Certains  pasteurs  imposent  à la  Communauté  de  leur  octroyer un salaire. L’utilisation  de  la  Bible à  des  fins  de  réhabilitation  socio- professionnelle   n’est  plus  à démontrer    dans  les  villes  congolaises. (14)  

Le  deuxième   volet   consiste à  considérer  que  les  mouvements  de  Réveil   véhiculent  des  imaginaires et  des  nouvelles  formes  de  subjectivité. Ils  ont  une  signification  politique   et  un  impact  sur  les  changements  historiques.  Ce  sont  les  modes  de  subjectivation   par  lesquels   les  membres  se  constituent  en  tant  que sujets moraux, prônant des conduites  de  vie et  des  stylistiques de  l’existence.

Ainsi, face  au  rejet  de  la  famille  pour  cause  de  chômage, au  déclassement social, à  l’exclusion, les  gens  se  trouvent dans  les  églises  de Réveil  un  autre  type  de  discours qui  valorise  l’individu  et  qui   propose  des   voies  de  sortie. A  travers  une   théologie narrative  fondée  sur  l’expérience, l’individu  trouve  le  réconfort. ([i]15) 

 

Discours  évangélistes  des  églises  de  Réveil

Le  message  pentecôtiste  permet    aux  adeptes  de  trouver   des  réponses  aux  mystères  de l’existence. Il  prédit  le  futur  leur  rassurant  sur  les  effets positifs  de  leurs  prières. A travers  les  sermons, les  pasteurs  fournissent  des  discours d’espoir et de salut, comme des alternatives aux problèmes sociaux et  économiques et aux tensions que la plupart des membres expérimentent  quotidiennement  en  milieu  urbain.

Les  églises  de  Réveil dans  la  plupart  des  cas  diffusent   de  discours  largement  adaptés  au  public  urbain  en  situation  de  crise : perte  des  repères, disparition  des valeurs sociales, prolifération des pandémies , crainte  des  maladies, etc. Elles servent  de  lieu  de  recomposition des crises urbaines à  travers  les  multiples  réponses  sociales. Le  martèlement  du  discours  sur  la  sanctification agit  sur  l’individu qui  y  apprend ainsi  à  rêver  sur la  possibilité d’une  résolution  imminente     ou  très  prochaine  de  son  problème.  Le chrétien  expérimente l’abandon  du  vol, de  la  corruption, des  pratiques illicites  pour  se  confier  à Dieu .

 Le  mouvement  pentecôtiste   accompagne l’aspiration  à l’ouverture, la  mobilité  et  la promotion  de  nouvelles  générations  qui  se  trouvent  évincées  de  la  sphère  sociale. Il  fait  notamment  preuve d’une  exceptionnelle  capacité d’insertion des  jeunes  dans  les  réseaux  internationaux , par  le  biais  des  échanges : invitations, tournées  de  prédication, voyages, congés  et  autres conventions  de  foi  mondiale.  Dans  les  grandes  villes congolaises, les  jeunes  viennent  dans  ces lieux  de  prière dans  l’attente  d’un  miracle : obtention d’un visa  de  sortie pour  l’Occident, embauche, promotion  professionnelle, acquisition de  biens matériels (voiture, téléphone, villas…). Les  schémas  d’interprétation  de  la  pauvreté, de  l’insuccès  ne  sont  pas  les mêmes.  

 

Place  des  églises  indépendantes  dans  la  recomposition  des  identités  urbaines.

Les  églises  de  Réveil  connaissent  aujourd’hui   un  succès  croissant  dans  les  villes congolaises. Le  recours  au  religieux  est  le  moyen  qui  permet aux  couches  défavorisées  de  faire face  aux  difficultés  croissantes  de  la vie quotidienne  liées à  la  crise  économique, au  délitement  politique, à  la  crise  des  familles et  au  désœuvrement  des  jeunes.  (16).  Les  affiliations  religieuses  demeurent  seules  pourvoyeuses de  repères, de  sens  et  de  solidarité  élargie.

Les  églises  apparaissent aujourd’hui comme des  véritables  lieu  de  recomposition  de la société  civile. Elles  semblent  être  les  instruments de la promotion  intégrante  de l’homme  pour éradiquer le mal à la racine. L’engagement  des églises  au service  du  peuple  et  du  pays  répond à  la  mission  qu’elles  assignent  à  la lumière  de l’Evangile.  Elles  inscrivent  leur  combat dans  la  cohérence du  magistère moral  et  politique en  tant  qu’institutions. Elles  demeurent  partie  prenante   des  aspirations  de paix, de gestion et  de prévention  des  conflits et  de défense des droits humains.

CONCLUSION

Le  foisonnement  religieux  au  Congo  Brazzaville  s’inscrit  dans  le  contexte de crise  multidimensionnelle. Les  sectes  ont  tendance  de  devenir  des églises  bien  structurées. Il en résulte des tendances perverses, auto- mutilantes et culpabilisantes  qui  régentent   la vie sociale urbaine.

Les  églises  pentecôtistes  se  présentent  aujourd’hui  comme  des  lieux  où  se  construisent  et  se façonnent  des  identités, des  opinions  et  des comportements nouveaux. Pour  les  populations  urbaines, la  frustration, la souffrance et  le  sentiment de ne pouvoir  résoudre  le  paradoxe  éthique  deviennent  des  défis  majeurs. 

NOTES

1 Une  littérature  abondante  fait  mention  de  cette  christianisation  du  Royaume  Kongo. On  se  référera  de :

-BALANDIER, G., La  vie  quotidienne  au Royaume  Kongo du XVIe  au XVIIIe siècle,  Paris : Hachette  1965

- RANDLES, W.G.L.,  L’ancien  royaume  du  Congo, Paris,  Mouton, 1968

- CUVELIER, J.,  Relations  sur  le  Congo  du  P. Laurent  jacente, 1747,  Louvain, AUCAM. 1968

2 Le  mouvement antonien fondé  par  Kimpa Vita   est  le  plus  important  mouvement  messianique. Il  intervient dans un contexte  de  crise  marqué  par  les  querelles  entre les  dynasties Kimpanzu  et Kinlaza d’une part  et  celles qui  opposent  les  Jésuites portugais  aux  Capucins  italiens  et  espagnols. Sous  la  bannière  de  Saint- Antoine, Kimpa  Vita  circule  à  travers  le  Kongo, fait  des  prodigues, prêche la restauration du royaume, parle contre les  missionnaires, le  pape et  les  sacrements  de l’Eglise. Elle  a  fini  par  transformer  le  Salve Regina  en   Salve Antoniana , tourné en folie superstitieuses, hérétiques, idolâtre et  blasphématoire pour  les missionnaires. Elle enseigne en même  temps  que   Jésus  Christ  est  né à Mbanza Kongo (Nouveau Bethléem), qu’il avait été baptisé à Nsundi (Nazareth ) et que ses apôtres étaient  des  Noirs. Cette  naturalisation de  la  religion  chrétienne, avec transposition  géographique du  drame  chrétien  semble  être  accompagnée  d’une  valorisation des  Noirs.

3  Lire  à  ce  sujet : BOUCHAUD., J.,  1958, L'Eglise  en  Afrique, Paris, La Palatine, 188p.

  - GUILLAUME., P., 1974,  Le monde colonial: XIXe- XXe siècle, Paris, A.Colin,.

  - BOUCHER, A.  1928, (Mgr), Au Congo- français: les  missions  catholiques. Paris, Pierre  Tequi,                

4  BALANDIER, G., Sociologie  actuelle  de l’Afrique noire,  Paris, PUF, 1955

5 ASCH, S.,  L’Eglise  du  prophète  Kimbangu, Paris, Karthala.  1983,   p.44

6   SINDA, M., Le  messianisme  congolais  et  ses  incidences  politiques. Paris, Payot, 1972

7  Cf.  EBERHARDT, J., «  Messianismes  en  Afrique  du   Sud »,    Archives  de  Sociologie  des  Religions n°4,   1972,  pp.31-56.

- NEHER, A., L’essence  du  prophétisme, Paris, Calmann – Levy, 1972

8 DORIER  APPRIL, E., KOUVOUAMA, A., «  Pluralisme  religieux  et  société  urbaine à Brazzaville »,  Afrique  contemporaine, n° 186, avril- juin  1998,  pp. 58- 76

9 – Cette  enquête  menée  entre  décembre 1995  et  avril  1997  a été l’œuvre  de   Dorier  Appril  et  Abel  Kouvouama. Les  travaux  de  Joseph  Tonda  et  de Patrice  Yengo   dans  ce  cadre  du pluralisme  religieux  de  la  société  urbaines  congolaises  semblent  confirmer cette  diversification  des  lieux  de  cultes.  

10  CLAVEL, C., La  société  d’exclusion. Comprendre pour  s’en sortir. Paris, L’Harmattan, 1998

11 Lire  à  ce  sujet, CORTEN, A., MARY, A., Imaginaires  politiques  et    pentecôtismes , Paris, Karthala. 2000

12  OBENGA, Th., L’histoire  sanglante  du  Congo B., Paris, Présence  africaine, 1998

13 GRUENAIS, M.E,  MOUANDA MBAMBI, F., TONDA, J.,  « Messies, fétiches et   lutte  de  pouvoirs  entre   les  grands  hommes  du  Congo démocratique »,         Cahiers d’études  africaines, vol. XXXV, n°137, Paris, 1994, p.163-194

14  DORIER  APPRIL, E., «  Les  enjeux socio- politiques  du  foisonnement  religieux  à Brazzaville »,  Politique  africaine n° 64, Paris, Karthala   1998,  pp. 58- 76

15 CORTEN  A, MARY, A., Imaginaires  politiques  et  pentecôtismes , Paris,     Karthala, 2000, pp.143-163 

16   DORIER  APPRIL, E., KOUVOUAMA, A, Vivre à Brazzaville. Modernité urbaine et   crise  au  quotidien, Paris, Karthala   1998,

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