Mesdames et Messieurs les Grands Maîtres,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de recevoir aujourd'hui les représentants d'une tradition philosophique qui a pris une part si importante, en France et dans le monde, à l'élaboration et à la diffusion des idées républicaines.
Il est des histoires qui contribuent à forger l'histoire, des événements qui font avancer la cause de la liberté. La création, en 1728, de la première loge française est de ceux-là.
Vous avez choisi de fêter ensemble cet événement. Et vous avez voulu y associer les maçonneries étrangères. A toutes et à tous, je souhaite la plus chaleureuse des bienvenues.
En vous recevant aujourd'hui, j'ai souhaité rendre hommage au rôle civique de vos sociétés de pensée. Un rôle actif de défense et de réaffirmation des principes républicains, un rôle de vigilance, un rôle de réflexion.
Cet anniversaire est aussi pour vous l'occasion de donner une idée juste de la franc-maçonnerie, au-delà des clichés et des idées reçues.
Vous inscrivez votre engagement dans l'héritage des Lumières. Lumières de la raison, de la tolérance, de la solidarité humaine, lumières de la liberté, la liberté absolue de conscience, la liberté de douter, parce que le doute est moteur de progrès. Une liberté que résume bien le triptyque : provoquer et non imposer, suggérer sans proclamer, interroger plutôt que répondre. Bref, la vraie liberté de l'homme parvenu à s'affranchir tant des passions que des carcans sociaux.
Alain Bauer, dont je salue l'initiative qui nous réunit aujourd'hui, a évoqué la naissance de la maçonnerie en France à l'aube du XVIIIe siècle, avec cette belle formule que je lui emprunte : C'est le peuple de l'Encyclopédie qui essaie de devenir celui des Lumières. Né dans les spasmes des guerres civiles et religieuses anglaises, l'idéal maçonnique, celui d'Isaac Newton, rêvait de substituer aux dogmatismes le débat sur le progrès scientifique, de desserrer l'étreinte, de casser les rigidités, pour instaurer un espace de liberté, hors des tabous et des index de l'époque.
Cette histoire, ces convictions, la franc-maçonnerie peut les assumer avec fierté. Elles fondent son engagement. Elles marquent ses traditions. Trois siècles ont passé et vous tenez à ce que vos travaux continuent de s'accomplir dans la liberté, le refus des certitudes, l'ouverture internationale, en recherchant toujours l'indispensable sérénité dans laquelle doit être menée la réflexion, loin de l'agitation du monde.
Sa fidélité aux traditions, son engagement au service de l'homme, la franc-maçonnerie les a chèrement payés, persécutée par tous les totalitarismes.
Les heures noires de l'Occupation et de la collaboration l'ont douloureusement marquée. Dès août 1940, une législation anti-maçonnique était promulguée. Les obédiences étaient dissoutes, leurs locaux occupés, leurs temples dévastés, leurs archives détruites, leurs collections pillées. Les francs-maçons ont été dénoncés, leurs noms livrés à l'occupant nazi. Beaucoup d'entre eux furent déportés et trouvèrent la mort dans les camps. Jamais dans son histoire, la franc-maçonnerie française, qui s'était toujours développée dans le plus grand respect des institutions et des lois, n'avait eu à subir un tel déchaînement de violence et de haine.
Cet acharnement ne peut s'expliquer que par l'indéfectible attachement des francs-maçons à la République. La République, ils l'ont aidée à naître, répandant les idées de raison et de progrès. Ils l'ont veillée lorsqu'elle était fragile ou attaquée. Ils l'ont nourrie de leur exigence et de leur réflexion. Ils ont toujours été au premier rang de ses défenseurs.
Au XVIIIe et au XIXe siècles, ils furent naturellement de tous les combats contre l'autoritarisme.
Dans les tavernes des origines, ils ont contribué à diffuser les valeurs qui furent celles de la Révolution française et que proclame la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. Dans le grand élan de 1848, ils militent pour les libertés politiques et syndicales, la liberté de la presse, la liberté d'association, l'abolition de l'esclavage.
Après avoir contribué à faire naître la IIIe République, ils sont nombreux à s'engager dans la Ligue des Droits de l'Homme, pour que triomphe l'innocence du Capitaine Dreyfus. Quelques années auparavant, ils avaient préparé, pour une très large part, et ardemment soutenu la loi de 1882, loi capitale pour la République, qui créait un enseignement primaire obligatoire, laïque et gratuit. Avec la même fermeté, le même enthousiasme, ils appuient la loi de 1901, qui garantit la liberté d'association, puis celle de 1905, qui sépare les églises et l'Etat.
Le Combat pour la laïcité doit beaucoup à leur engagement. Combat de chaque instant, combat qui reste toujours d'actualité. Combat pour la tolérance et pour une fraternité fondée sur le respect de l'autre et qui ne s'arrête pas aux différences, aux origines, aux religions.
Au fil du temps, à mesure que s'est enracinée la République, que se sont imposées les valeurs universelles qu'elle défend, la franc-maçonnerie française a su attirer des femmes et des hommes engagés dans la vie sociale et représentatifs de la France dans toute sa diversité.
Il n'est pas de grande question sociale, touchant à la condition humaine, que les francs-maçons n'aient abordée. Récemment, individuellement ou de manière concertée, ils sont intervenus dans les débats sur la place des femmes dans notre vie publique, sur la bioéthique, l'accueil et la place des handicapés, l'avenir de l'école, la construction européenne, le développement durable, la mondialisation, la diversité culturelle, la question aussi du choc démographique et de l'adaptation nécessaire de la société française et de ses structures.
Parce que les francs-maçons ont d'abord à coeur l'exigence d'humanisme, ils sont aux avant-postes de la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, contre les discriminations et tout simplement contre la violence. Il n'est pour vous, de progrès individuel et collectif, de véritable vivre ensemble, qu'affranchis des passions et des intérêts particuliers, des communautarismes et des intégrismes, des ignorances et des antagonismes qu'elles engendrent.
Mesdames et Messieurs,
Cet anniversaire qui nous rassemble aujourd'hui, vous le vivez, j'imagine, comme un engagement renouvelé pour l'avenir, pour d'autres progrès, d'autres libertés.
Aujourd'hui, je veux saluer votre action qui a joué un rôle essentiel dans l'enracinement de l'idéal républicain en France. En vous recevant toutes et tous, je souhaite vous témoigner le respect de la Nation pour ce que vous êtes et pour ce que vous faites.
Je vous en remercie.