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OTS: une hypothèse farfelue

Entretien avec Jean-François Mayer ("Le Nouvel Echo. Hebdomadaire catholique romand" [Lausanne], N° 16, 3 mai 2001, page 6)

Le tribunal correctionnel de Grenoble, chargé de juger le chef d'orchestre Michel Tabachnik, rendra son verdict en juin. Retour sur ce procès de l'OTS avec Jean-François Mayer, expert en matière de sectes, qui invalide l'hypothèse d'un commando tueur venu de l'extérieur.
Recueilli par Bernard Litzler

- Comment la doctrine de l'OTS, élaborée par Michel Tabachnik, peut-elle, à votre avis, conduire à des suicides collectifs?
- Il faut d'abord rappeler que, en tout cas dans le premier épisode de la fin tragique de l'OTS (octobre 1994), il n'y avait pas seulement eu des suicides, mais également des meurtres. Je suis certes convaincu qu'il faut toujours prêter attention aux convictions doctrinales d'un groupe. Cependant, je continue de penser que le "transit" a d'abord été un moyen pour Jo Di Mambro d'échapper à une réalité qui le rattrapait:
contestations internes, dévoilement de trucages utilisés dans les cérémonies, exigences de remboursement. Il a alors choisi la fuite en avant, tout en essayant de forger post mortem une légende de l'OTS. Bien entendu, il lui a fallu se convaincrelui-même et convaincre un noyau de convaincus, en élaborant une justification doctrinale.
L'enquête de la police suisse a longuement tenté de déterminer si Michel Tabachnik pouvait avoir joué un rôle dans l'élaboration doctrinale du projet de "transit". Contrairement à certaines informations médiatiques, la plupart des documents utilisés à Grenoble étaient déjà connus dès les premières semaines de l'enquête suisse: leur analyse n'a nullement été négligée!
Mais ils ne contenaient aucun indice probant d'une implication de Tabachnik dans la préparation (idéologique ou pratique) du "transit". D'ailleurs, le chef d'orchestre n'était pas la seule source doctrinale de l'OTS: la majorité des membres avaient du mal à comprendre son discours.
- Comment est-il possible que des personnes relativement cultivées donnent crédit à des théories qui paraissent assez abracadabrantes?
- Souvenons-nous que toute croyance peut paraître abracadabrante à ceux qui ne la partagent pas: pour des athées militants, la foi chrétienne est probablement aussi peu crédible que celle de l'OTS! Je vois plusieurs raisons à l'écho qu'elles ont pu trouver auprès de gens qui n'étaient pas des ignorants. Premièrement, on peut être très cultivé dans différents domaines et crédule lorsqu'il s'agit de questions spirituelles. D'autant plus que ce qui a souvent convaincu les membres de l'OTS étaient les phénomènes en apparence "miraculeux" produits par Di Mambro. Ces "prodiges" faisaient oublier tout sens critique. Au XIXe siècle déjà, des scientifiques qui enquêtaient sur des phénomènes spirites furent parfois abusés par des trucages qu'ils ne surent pas repérer.
Ensuite, la plupart des croyances de l'OTS ne lui étaient pas propres, mais s'alimentaient à des courants plus largement répandus de ce que nous pouvons appeler la "religiosité parallèle". Les gens qui arrivaient dans l'OTS avaient souvent déjà développé un intérêt pour une littérature ésotérique, par exemple. Les idées qu'ils rencontraient dans l'OTS ne leur paraissaient donc pas absurdes parce qu'ils avaient déjà commencé à accorder une plausibilité à plusieurs d'entre elles. Les adeptes de l'OTS pensaient appartenir à la petite élite de ceux qui "savaient". Mais même être relativement cultivé ne signifie pas toujours être doué de discernement spirituel...
- Croyez-vous à l'exécution des membres de l'OTS par un commando extérieur?
- Associé à l'enquête suisse, mais pas à celle sur l'affaire du Vercors, je ne crois nullement à l'hypothèse farfelue de l'intervention d'un commando extérieur. Dans l'affaire suisse, suffisamment de preuves ont été retrouvées pour démontrer que toute la préparation du "transit" s'est jouée dans un cadre interne. Tout semble indiquer la même chose pour la mort de cinq personnes au Québec en 1997, et l'on a dans ce cas les témoignages de leurs enfants survivants, qui ont été aux premières loges de ce drame. L'enquête française aboutit également à l'absence d'intervenants extérieurs, et je ne vois aucune raison de la mettre en doute.
Les informations recueillies après Cheiry et Salvan ont montré que plusieurs participants aux réunions qui ont précédé les événements du Vercors regrettaient de ne pas avoir quitté notre planète avec leurs coreligionnaires. Si réellement ces personnes avaient été dépositaires de redoutables secrets au point qu'un commando aurait dû les éliminer, on se demande bien pourquoi il aurait fallu attendre plus d'un an après octobre 1994, alors qu'elles seraient venues sans hésiter à un appel au moment du premier "transit"! Non, cette hypothèse de l'intervention extérieure ne tient pas debout.
Plus encore: je la tiens pour particulièrement perverse. Elle tend en
effet à donner à l'OTS une importance qu'il n'a jamais eue, à en faire une légende. C'est exactement ce que voulait Di Mambro. Je regrette de voir certaines personnes se faire ainsi, en quelque sorte, les exécuteurs testamentaires de l'OTS. Et de voir comment est exploitée la douleur de certaines familles, en leur laissant entrevoir des explications qui n'ont probablement pas grand chose à voir avec la réalité.

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