CESNUR - center for studies on new religions

"La France s'apprête à adopter une loi anti-secte controversée"

par Patricia Briel ("Le Temps" [quotidien suisse romand] 10 mai 2001)

La France s'apprête à introduire une loi tendant à renforcer la répression à l'encontre des groupes sectaires. Dans la nuit de jeudi à vendredi de la semaine dernière, les sénateurs ont adopté en seconde lecture un texte qui prévoit trois innovations principales: l'extension du délit d'abus de faiblesse, déjà réprimé par le Code pénal, la possibilité de dissolution judiciaire des groupements à caractère sectaire quand ils ont fait l'objet de plusieurs condamnations pour certaines infractions graves, et la possibilité pour les maires d'interdire l'installation de sectes dans un périmètre de 200 mètres autour des établissements sensibles, comme les écoles, les maisons de retraite, etc. La création d'un délit demanipulation mentale, comme l'avait souhaité l'Assemblée nationale le 22 juin 2000, n'a finalement pas été retenue. Néanmoins, les trois nouvelles dispositions n'ont pas fait l'unanimité au Sénat. Avant que les sénateurs ne planchent sur le projet, une délégation de 50 parlementaires du Conseil de l'Europe ainsi que le sous-secrétaire d'Etat américain aux droits de l'homme étaient intervenus pour demander au Sénat de différer l'adoption de la proposition de loi. Quant aux sociologues des religions, ils critiquent une loi jugée redondante et inadéquate. Ce débat concerne de près un canton comme Genève, qui réfléchit à l'introduction d'une loi contre les dérives sectaires qui pourrait s'inspirer du modèle français.
Chasse aux sorcières?
La proposition de loi votée au Sénat réprime «l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie,à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse est apparente et connue de son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables». Pour Roland Campiche, directeur de l'Observatoire des religions à l'Université de Lausanne, «la panoplie judiciaire actuelle suffit pour réprimer les dérives sectaires. Je ne vois pas la nécessité d'introduire un droit d'exception qui vise uniquement les sectes. J'ai l'impression qu'on procède à une chasse aux sorcières.»
Jean-François Mayer, historien spécialiste des sectes, souligne la méconnaissance du phénomène sectaire par les politiciens français. «Cette législation vise à ériger les sectes en une réalité homogène. Or, il n'y a pas d'unité dans l'objet «sectes», pas plus qu'il n'y a de spécificité de la démarche sectaire. D'ailleurs, il n'y a pas eu la moindre tentative de définir ce qu'est une secte. Il y a donc une contradiction à vouloir légiférer sur un sujet qui n'a pas été défini. De plus, le mot secte ne recouvre pas la même réalité pour tout le monde. Différentes significations se superposent dans l'esprit des gens.» Jean-François Mayer remarque à cet égard que la controverse autour des sectes, née dans les années 70, a procédé par cercles concentriques incluant de plus en plus de groupements que personne n'aurait eu l'idée de qualifier de sectes auparavant. A partir des années 80-90, des organisations de type politique et psychologique ont par exemple été intégrées dans la controverse. «On remarque que le terme secte tend à être utilisé de façon extensive, souligne l'historien. Il pourrait donc recouvrir un jour tout ce qui déplaît idéologiquement à un moment donné. Vu qu'il n'y a pas de définition, la loi pourra s'appliquer à ce que le législateur décidera de considérer comme secte à un moment donné.
Il est donc vraisemblable qu'une telle législation concerne par exemple un jour des mouvements catholiques aux pratiques intensives, de type monastique ou paramonastique.»
Prévention absente du débat
La création d'un périmètre de sécurité est jugée «risible» par Roland Campiche. Certains ne comprennent pas pourquoi ce périmètre de sécurité ne concernerait que les sectes, et pas les établissements pornographiques, par exemple. Quant à la possibilité de prononcer la dissolution des groupements sectaires, Jean-François Mayer se demande pourquoi une telle loi ne s'appliquerait pas aussi aux partis politiques dont les dirigeants ont fait preuve de corruption. En définitive, selon l'historien, «toutes ces dispositions légales n'empêcheront pas un nouveau suicide collectif ou des assassinats». En effet, la grande absente du débat français, c'est la prévention.
Si elle est adoptée, une telle législation aura trois conséquences nocives, selon Roland Campiche: «Elle donnera à l'Etat l'impression qu'il a fait son devoir. Elle va accentuer l'idée que secte égale danger. Elle va freiner
le dialogue et le débat, et contribuer à ce que des groupes se ferment.»
«Un projet utile»
L'avocat genevois François Bellanger, qui planche sur la création d'une législation antisectes à Genève, rejette ces critiques. «Le projet de loi français est utile car il renforce la législation actuelle. Il n'y a pas besoin de définir les sectes. Cela n'a pas d'intérêt au niveau juridique.
C'est même un piège, car certains groupes pourront arguer qu'ils ne sont pas des sectes. Il vaut donc mieux s'attacher à un certain nombre d'actes répréhensibles. Le projet français protège la liberté de croyance, mais réprime les dérives de certains groupes.» Quant à la création d'un périmètre de sécurité, il estime que c'est un élément utile pour protéger les enfants, «susceptibles de subir des influences négatives. Les établissements pornographiques ne font pas de démarche active pour attirer les enfants dans leur magasin. Or, les groupements sectaires font du prosélytisme en abordant les gens».
Le projet de loi voté par le Sénat doit encore retourner devant l'Assemblée nationale d'ici la fin du mois de mai. Il pourrait être adopté définitivement d'ici au 30 juin.

[Encadré]
Aux cantons de légiférer

Patricia Briel

Dans sa réponse de juin 2000 à un rapport de la Commission de gestion du Conseil national, le Conseil fédéral a jugé que l'élaboration d'une politique spécifique en matière de sectes n'était pas nécessaire: «Le Conseil fédéral privilégie la protection des droits fondamentaux, en particulier la liberté de conscience et de croyance [...]. Il n'appartient pas au Conseil fédéral d'élaborer une politique en matière de sectes.» En d'autres termes, il revient aux cantons de se munir d'une éventuelle loi contre les dérives sectaires. A Genève, le Département de justice et police et des transports réfléchit à la création d'une telle loi.

Anti-Cult Law in France - Index Page

[Home Page] [Cos'è il CESNUR] [Biblioteca del CESNUR] [Testi e documenti] [Libri] [Convegni]

cesnur e-mail

[Home Page] [About CESNUR] [CESNUR Library] [Texts & Documents] [Book Reviews] [Conferences]