Démissionnaires, partants ordinaires et apostats: une étude quantitative auprès d'anciens membres de Nouvelle Acropole en France
Étude du CESNUR presenté par Massimo Introvigne au colloque de l'American Academy of Religion, San Francisco, le 23 novembre 1997 (version préliminaire sur un échantillon de réponses au questionnaire non complet). © Massimo Introvigne et CESNUR, 1997, 1998
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I. La construction sociale des récits de départs
Trois types de récits de départ : les membres démissionnaires, partants ordinaires et apostats
Il existe une grande quantité d'ouvrages sociologiques sur les processus de départ des organisations sociales en général (comme par exemple Hirschman 1970 ; DellaCava 1975 ; Murnighan 1981 ; Ebaugh 1988). Un grand nombre de ces études traite spécifiquement d'organisations religieuses (Jehenson 1969 ; Bromley 1988 ; Bromley 1997a.), et particulièrement des nouveaux mouvements religieux (Jacobs 1989). Une part importante de ces recherches s'est intéressée à la construction sociale des récits de départs. Prenant en compte les résultats d'approches méthodologiques préalables et laissant de côté des rôles moins fréquents comme celui de délateur (James 1980) (1), je vais m'intéresser à trois types de récits de départ : ceux des membres démissionnaires, des partants ordinaires et des apostats (2). (Une typologie alternative - et importante - est celle de Richardson, van der Lans et Derks 1986). Il est important de noter que ces typologies correspondent à des rôles socialement construits. Les défections sont le fruit de l'interaction dynamique entre l'expérience socio-psychologique de la personne qui quitte un organisme et son environnement. Ce dernier étant le cadre où l'ancien membre évolue et est tenu de rendre compte de son ancienne appartenance. Bien que des tentatives aient été faites pour tenter d'expliquer les défections selon des modalités d'ordre socio-psychologique (Coser 1954), il n'existe pas de descriptions stéréotypes des processus de départ. Tous ces récits sont construits socialement, conditionnés culturellement et négociés politiquement.
Les récits du type I reconstruisent le processus de départ comme une démission. Selon Bromley (1997b), "le rôle du démissionnaire peut être défini comme celui dans lequel un membre actif d'une organisation négocie son départ tout d'abord avec sa hiérarchie qui l'autorise à abandonner sa fonction, contrôle le processus de départ et facilite le passage de fonctions. Le récit, établi conjointement, fait état de la responsabilité morale du membre face à la démission de ses engagements et attribue la permission qui lui est donnée par l'organisation à l'application des hauts critères moraux qui l'animent et à sa volonté de conserver la confiance du public". En fin de compte, la responsabilité de quitter l'organisation est attribuée au seul membre démissionnaire. Ce dernier accepte le fait qu'il ou elle n'était simplement pas à la hauteur des exigences requises par l'organisation. Le membre démissionnaire a essayé de s'intégrer à l'organisation, mais a échoué, en raison de problèmes personnels. L'organisation et l'ex-membre négocient un départ honorable pour les deux parties. On s'attend à ce que l'ex-membre exprime un certain degré de regret de devoir quitter une organisation qu'il considère toujours comme bienfaisante et avec de hauts critères moraux.
Les récits de type II -- les partant ordinaires -- sont à la fois les plus fréquents et ceux dont on parle le moins. En fait, des membres participants quittent nombre d'organisations chaque jour sans qu'on en entende parler, sauf s'il existe un terrain litigieux. Les départs non conflictuels ne réclament qu'un minimum de négociation entre le membre sortant, l'organisation qu'il ou elle quitte et son environnement social au sens large. En fait, la société moderne explique le processus de mobilité sociale dans différents champs d'activités comme une chose normale, par perte d'intérêt, de confiance ou d'engagement et qui amène à vouloir vivre de nouvelles expériences. Le récit mentionne habituellement que le partant ordinaire n'est pas très attaché affectivement à l'expérience qu'il vient de conclure. Et comme il se sent moins redevable et qu'il s'en est finalement éloigné, son récit fera normalement état de commentaires sur les aspects négatifs et les défauts de l'organisation. Mais le partant ordinaire reconnaîtra aussi les côtés positifs de l'expérience. En fait, un départ ordinaire n'a guère à se justifier et il n'y aura pas de réelle enquête sur les raisons et les responsabilités de ce départ.
Les récits de type III définissent le rôle de l'apostat. L'apostat renie son engagement passé d'une façon dramatique et devient l'ennemi officiel de l'organisation qu'il ou elle vient de quitter. Selon les termes de Bromley "le récit s'alimente de documents prouvant le fondement essentiellement mauvais de l'organisation à laquelle a appartenu l'apostat, émaillé de témoignages personnels sur la façon dont il a été endoctriné et s'en est finalement échappé ou en a été sauvé" (Bromley 1997b). Au yeux de son ancienne organisation, il ferait facilement figure de traître. Cependant, l'apostat -- après s'être affilié à une groupe d'opposition qui combat les agissements de son ancienne organisation -- va affirmer haut et fort qu'il a été "victime" ou "prisonnier" et qu'il ne s'est jamais engagé de son propre gré, ce qui évidemment implique que l'organisation elle-même était la personnification de quelque chose de diabolique. Une fois que l'apostat est intégré dans une coalition d'opposition, il va trouver, prêts à l'emploi, quantité d'outils théoriques expliquant précisément le pourquoi du rôle diabolique de l'organisation et les moyens qu'elle utilise pour priver ses membres de leur volonté propre.
On reconnaît généralement que plus une organisation est controversée, plus grand sera le nombre de ses apostats. Inversement, une organisation largement respectée produira davantage de démissionnaires et moins d'apostats. Un exemple en est l'Église Catholique Romaine. Bien que des apostats extrêmement critiques existent parmi d'anciens catholiques, surtout dans les rangs d'anciens prêtres ou religieuses, la majorité de ceux qui abandonnent la prêtrise ou un ordre religieux, ou l'Église Catholique de manière générale, se blâmeront plutôt eux-mêmes de n'avoir pu être à la hauteur des exigences requises. Ainsi leurs témoignages s'apparenteront souvent à ceux de la première catégorie (voir Ebaugh 1988). Cela est dû, nous disent Ebaugh (1988) et d'autres, à la puissance de l'institution de l'Église Catholique Romaine (bien que non exempte de contestations). Elle est ainsi le plus souvent en mesure de négocier avec les membres qui la quittent des témoignages les moins dommageables possibles. Au contraire, on s'attend à ce que les organisations perçues comme subversives -- incluant la plupart des nouveaux mouvements religieux -- génèrent plus d'apostats que de démissionnaires. Cette prévision théorique semble tout à fait logique. Cependant elle n'est pas entièrement confirmée par la recherche empirique. On perçoit généralement les nouveaux mouvements religieux comme subversifs. Il génèrent des apostats qui savent se faire entendre. Toutefois les études existantes semblent suggérer que les apostats constituent une petite minorité des anciens membres des nouveaux mouvements religieux, même les plus controversés. Une grande majorité d'anciens membres pourrait être classée dans la catégorie des partants ordinaires et même pour certains d'entre eux, des démissionnaires (Wright 1984 ; Bromley 1988 ; Jacobs 1989 ; Bromley 1977a).
Il est important de bien distinguer les anciens membres connus des méconnus. La plupart des anciens membres demeurent méconnus dans la mesure où il ne veulent pas ou ne se soucient pas de parler de leur affiliation antérieure. On ne pourrait les découvrir que par des études sociologiques quantitatives. Il est peu probable qu'ils soient disposés à une étude sociologique qualitative, bien que ce ne soit pas impossible. Les anciens membres connus sont essentiellement les apostats. Les coalitions d'opposition qu'ils ont rejointes font tout pour s'assurer de la large audience des apostats. Dans des proportions moindres, des démissionnaires peuvent aussi se faire connaître : les organisations qui sont la cible des apostats peuvent les mobiliser à l'occasion. Ou bien ils peuvent sortir de leur réserve spontanément quand il ressentent que leur ancienne organisation est critiquée injustement ou que les apostats en donnent une image erronée. Ainsi, bien que les apostats (et les démissionnaires) ne constituent qu'une minorité des anciens membres de presque toutes les organisations (qu'elles soient ou non l'objet de controverses) ils constituent néanmoins la majorité des ex-membres connus. C'est un risque encouru aussi par les organisations de premier plan et relativement peu controversées. Les prêtres défroqués apostats qui s'expriment sont beaucoup plus connus que la majorité silencieuse de ceux qui préfèrent ne pas rendre public le récit de leurs défaillances. Ainsi la visibilité quasi exclusive des apostats est devenue la règle en matière d'organisations controversées comme les nouveaux mouvements religieux.
Les apostats et les mouvements anti-sectes
Bien qu'il existe des apostats politiques et d'entreprise, l'idée même de l'apostasie tire son origine des défections dans le domaine religieux. Comme nous l'avons mentionné auparavant l'apostat se justifie en disant qu'il n'est pas entré ni resté dans l'organisation malfaisante de son plein gré. Les récits de son implication passée dans une organisation "subversive" deviennent des récits de captivité. Quand on parle de religion, cela ne signifie pas que les adeptes soient maintenus captifs par des moyens physiques. On assimile plutôt les conversions dans des organisations religieuses controversées à un paradigme hypnotique. Une des premières minorités religieuses à avoir été attaquée par des apostats au moyen de récits de captivité a été l'Église des Mormons au XIXe siècle. Selon Givens (1997 : 138), "le magnétisme, la contrainte, la captivité, l'asservissement, l'enlèvement - sont les mots et les images qui prédominent de fait dans l'éventail des úuvres (du XIXe siècle) consacrées au Mormons". Selon l'apostate Maria Ward, le secret des Mormons "est ce que l'on connaît maintenant sous le nom de Mesmérisme". Le fondateur des Mormons, Joseph Smith (1805-1844), " a acquis la connaissance de cette influence magnétique plusieurs années avant qu'elle ne soit vulgarisée dans tout le pays". Le prophète mormon "a obtenu son information, a appris les tours, passes et manipulations d'un batelier allemand qui, en dépit de sa condition modeste, était un homme à l'intellect brillant et de grande érudition. Smith le rétribua généreusement et l'allemand promit de garder le secret" (Ward 1855 : 230). L'idée d'un magnétiseur allemand enseignant aux mormons ce que l'on allait appeler au XXe siècle les techniques de lavage de cerveau, n'est confirmée par aucune source historique, mais a fait son chemin pendant des décennies au sein de la littérature anti-Mormons. La théorie de l'hypnose est associée avec une forme d'étrangeté (le magnétiseur est un étranger - un "allemand") qui reflète l'étrangeté perçue dans la vision du monde des Mormons. Et l'argument est quelque peu réversible. Seul le Mesmérisme peut expliquer pourquoi des américains apparemment normaux ont pu se rallier à des groupes d'une étrangeté aussi intolérable. Mais d'autre part, nous savons que le Mesmérisme (contrairement aux usages des Baptistes, Méthodistes et autres "respectables" prêcheurs) est utilisé là où précisément cette étrangeté est si extrême qu'elle ne saurait par définition être embrassée volontairement.
Pendant presqu'un siècle, les Mormons ont été la cible principale de centaines de ministères chrétiens qui se sont dédiés à montrer les "dangers des sectes" aux États-Unis et en Europe. Bien que d'autres groupes, des Témoins de Jéhovah à la Société Théosophique, aient aussi été mis à l'index, les Mormons sont demeurés la "secte" perçue comme la plus dangereuse (3). L'opposition anti-sectes a été orchestrée par les ministères chrétiens considérant les "sectes" comme non chrétiennes et étant de fausses religions. Face à l'émergence des nouveaux mouvements religieux contemporains, un mouvement anti-sectes laïque s'est mis en place au début des années 70 aux États-Unis, et peu après, en Europe. Cette coalition d'opposition laïque a fait renaître de ses cendres le paradigme de l'hypnose en suggérant que les "sectes" s'appuyaient sur la manipulation mentale et que l'on ne pouvait y adhérer de son plein gré. Cette manipulation s'appelait à l'origine lavage de cerveau, mais -- depuis que cette appellation a été discréditée par les spécialistes de la santé mentale -- on l'a rebaptisée en conséquence contrôle mental, déstabilisation mentale ou autre. Particulièrement après les suicides et homicides de plus de 900 membres dans le Temple du Peuple en Guyane (1978), nombre de professionnels de la santé mentale et de juristes qui appuyaient les thèses du lavage de cerveau rejoignirent les rangs des mouvements anti-sectes. Leur succès a été limité aux États-Unis en grande partie en raison des réactions des religions officielles et des chercheurs. Les spécialistes en sciences humaines n'ont jamais admis la prétendue opposition entre conversion volontaire et contrôle mental. Ils firent remarquer que les groupes les plus controversés et dénoncés comme "sectes" avaient une importante circulation de membres, fait guère compatible avec leur usage supposé de techniques "magiques" pour garder leurs membres dans la bergerie. Les spécialistes de la santé mentale ont réagi plus lentement. Toutefois quand ils se prononcèrent, ils provoquèrent l'effondrement de fait du mouvement anti-sectes américain. En 1984, l'Association Américaine de Psychologie (APA) a autorisé Margaret Singer la principale instigatrice des théories anti-sectes du contrôle mental, à ouvrir un groupe de travail appelé Task Force on Deceptive and Indirect Methods of Persuasion and Control (DIMPAC). En 1987, le rapport final de la DIMPAC fut remis à la Commission de Responsabilité Sociale et Éthique en Psychologie de l'APA. Le 11 mai 1987, la Commission rejeta le rapport et conclut que les théories du contrôle mental, appliquées au nouveaux mouvements religieux, n'étaient pas acceptées par la psychologie académique (American Psychological Association 1987). Les résultats de cette publication furent désastreux pour les mouvements anti-sectes. Depuis l'affaire de Fishman (1990) où un prévenu accusé de fraude commerciale avait soulevé comme argument de défense son irresponsabilité partielle étant donné qu'il était sous le contrôle mental de la Scientologie, les tribunaux américains n'ont eu de cesse de rejeter les témoignages sur le contrôle mental et la manipulation, arguant qu'ils n'étaient pas reconnus par la science officielle.
Margaret Singer et son associé Richard Ofshe engagèrent des poursuites contre l'APA et l'Association Américaine de Sociologie (qui avait soutenu les positions de l'APA en 1987) mais ils perdirent leurs procès en 1993 et 1994. A partir de 1996, les théories du contrôle mental -- bien que toujours utilisées par des mouvements anti-sectes marginaux -- avaient cessé d'être un facteur déterminant dans les procès mettant en cause les nouveaux mouvements religieux. Un ouvrage universitaire bien connu sur la sociologie des religions, établit la liste des raisons pour lesquelles les théories de lavage de cerveau et de contrôle mental avaient été rejetées par la communauté universitaire. Ces raisons avancent, entre autres, le manque de preuves empiriques et dénoncent l'utilisation qui en est faite comme simple outil pour dénigrer le statut de religion aux groupes perçus comme déviants ou subversifs (Bainbridge 1997 : 235-36) (4). De plus, la plus importante organisation américaine anti-sectes, le Cult Awareness Network (CAN) a fait faillite en 1996.
Cela ne signifie pas bien sûr, qu'il n'y ait plus de mouvement anti-sectes aux États-Unis. Mais étant donné que les théories du contrôle mental ont été rejetées catégoriquement par les universitaires, les associations professionnelles et les tribunaux, le rôle de l'apostat n'en est devenu que plus crucial. Les apostats qui jouaient déjà un rôle important depuis les années 1970 sont maintenant la principale source de légitimité du mouvement anti-sectes et de ses théories de contrôle mental. On pourrait rétorquer que ces théories ont été rejetées par l'université et les tribunaux. Mais ces derniers, selon le mouvement anti-sectes, n'ont qu'une connaissance théorique des "sectes". Ils ne sont pas confrontés au jour le jour avec les "victimes" et n'ont que peu d'expérience de leurs souffrances. Au contraire, les activistes anti-sectes affirment travailler avec les "victimes" des sectes et revendiquent une expérience "de terrain". La preuve de l'authenticité des témoignages sur les "véritables" agissements des "sectes" est leur validation par les récits des "anciens membres". Le contrôle mental existe bien, insistent-ils, parce que des "anciens membres" en témoignent et peu importe l'opinion de l'Association Américaine de Psychologie ou des universitaires.
On a utilisé des arguments similaires en Europe, où les suicides et homicides de l'Ordre du Temple Solaire au Québec, en Suisse et en France (1994, 1995, 1996) ont joué le même rôle de catalyseur que Jonestown aux États-Unis. On ne connaît pas bien en Europe la critique que les universitaires américains ont faite de la théorie du contrôle mental, ni son agrément par les tribunaux américains après le rapport de l'APA en 1987 et la décision concernant l'affaire Fishman en 1990. Un mouvement anti-sectes bien organisé -- particulièrement en France, en Allemagne et en Belgique -- a réussi à faire passer le concept de manipulation mentale aux médias et à la classe politique (avec la mise en place de commissions parlementaires d'étude sur les "dangers des sectes") qui ignoraient que ce critère avait été discrédité aux États-Unis. Lorsque l'on fait valoir les critiques universitaires des théories de la manipulation mentale, elles sont rejetées sur la base des témoignages des "anciens membres". Un rapport de la commission parlementaire belge datant de 1997 (Chambre des Représentants de Belgique 1997) mentionne que des universitaires ont critiqué un précédent rapport parlementaire français (Assemblée Nationale 1996), citant entre autres un ouvrage co-édité par le soussigné (Introvigne et Melton 1996). Malgré tout, la commission belge décida, en conclusion, de "rejeter" les objections des universitaires parce que les auditions qu'elle avait menées sur la base des "témoignages d'anciens membres" lui avaient apporté la preuve que les "sectes" recrutent leurs adeptes en utilisant la manipulation et le contrôle mental (Chambre des Représentants de Belgique 1997, II : 115-117).
Deux réflexions s'imposent à ce sujet. Tout d'abord, grâce aux efforts des mouvements anti-sectes organisés, les récits des "anciens membres" sont considérés en Europe par la classe politique, y compris les commissions parlementaires, comme plus crédibles que les études des chercheurs. De plus, et ceci est plus particulièrement l'objet de cette étude, on entretient un malentendu sur la notion même de l'"ancien membre", ce qui permet de stigmatiser publiquement les mouvements religieux minoritaires. En fait, alors que la commission belge affirme s'appuyer sur les "témoignages d'anciens membres", elle rapporte que pour une large gamme de nouveaux mouvements religieux, le nombre de témoins entendus varie de un à dix. Pour la plupart d'entre eux, un seul ancien membre a été entendu par la commission belge. La question qui se pose est de savoir qui a choisi, parmi les milliers d'"anciens membres", ceux qui allaient répondre devant les commissions parlementaires belge et autres. La réponse logique est que, soit ils se sont portés volontaires pour être entendus, soit ils ont été incités à témoigner par les mouvements anti-sectes (qui ont joué un rôle déterminant dans le processus de mise en place des rapports parlementaires). En fin de compte, lorsque le rapport mentionne "anciens membres" il nous faut lire "apostats" ou "quelques apostats". Ce qui brille par son absence dans les rapports parlementaires -- et dans les innombrables récits médiatiques illustrant bien le phénomène récent de diabolisation des sectes en Europe -- est la question de savoir si les apostats sont véritablement représentatifs de la large population d'anciens membres. En fait les termes d'"anciens membres " et d'"apostats" sont souvent confondus dans les controverses en Europe. Ce qui confirme le fait que les apostats sont majoritaires parmi les anciens membres connus des nouveaux mouvements religieux. Les médias, les pouvoirs publics et l'opinion publique ignorent généralement que la majorité des anciens membres des nouveaux mouvements religieux controversés demeurent inconnus pour la plupart. De même on passe sous silence le fait que les apostats qui se font entendre ne sont pas négligeables, mais ne représentent comparativement qu'une petite minorité d'anciens membres en général. Il est déjà sujet à caution de prétendre à une connaissance fiable d'un mouvement religieux quelconque uniquement sur la base de témoignages d'anciens membres sans tenir compte ni des recherches dans le domaine sociologique, ni des membres actuels, ni des autres sources d'information. Il est plus douteux encore d'affirmer que cette connaissance puisse s'appuyer sur les dires exclusifs d'une infime minorité d'anciens membres.
II. Les anciens membres de Nouvelle Acropole en France.
Nouvelle Acropole
Nouvelle Acropole est couramment qualifiée de "secte" par le mouvement anti-sectes, et a été listée en tant que telle dans le rapport parlementaire français de 1996 (Assemblée Nationale 1996).
Elle dénie formellement être un mouvement religieux, et préfère être considérée comme une école de philosophie. Fondée en Argentine en 1957 par Jorge A. Livraga Rizzi (1930-1991), Nouvelle Acropole est un mouvement post-théosophique, conjuguant des idées de la Société Théosophique avec d'autres sources. Comparée à la Société Théosophique, elle met l'accent sur l'ésotérisme occidental plutôt qu'oriental, et se centre particulièrement sur la philosophie grecque dans la tradition de Pythagore et Platon. Il est hors du propos de cette étude de reconstruire l'histoire et les idées de Nouvelle Acropole (pour une contribution universitaire, voir Faivre 1996).
Il est cependant important de comprendre pourquoi Nouvelle Acropole est devenue particulièrement controversée dans certains pays européens, dont la France. Sa référence à la philosophie grecque inclut une certaine critique de la démocratie contemporaine. Un certain nombre d'écrits des débuts, dans les années 60, ont été interprétés comme étant antidémocratiques et proche d'une variété latino-américaine d'extrême-droite. Des controverses importantes entourent ces textes. Certains d'eux sont, selon Nouvelle Acropole, des inventions fabriqués par des opposants, ou de mauvaises traductions de l'original espagnol. D'autres textes, dont l'authenticité n'a jamais été remise en question, condamnent sans équivoque le nazisme, le fascisme, et -- plus récemment -- le Front National en France (voir Faivre 1996 : 245 pour les références ; voir aussi Labat et Ohmann 1997 pour les positions actuelles de Nouvelle Acropole sur la démocratie). Il reste que la critique théorique de la démocratie moderne a valu à Nouvelle Acropole une opposition aigüe du milieu d'extrême-gauche, particulièrement en France et en Allemagne. Les apostats ont eu un rôle clé dans l'étiquette de Nouvelle Acropole comme groupe "fasciste". Le plus connu parmi eux, a été Miguel Martinez, un ancien dirigeant de Nouvelle Acropole en Italie. Le 2 juillet 1997, Martinez et la chaîne télévisée française Canal Plus, ont perdu un jugement civil pour diffamation devant le Tribunal de Paris pour avoir prétendu -- selon la Cour, sans fondement -- que Nouvelle Acropole soutient à la fois le nazisme et le régime pro-nazi français de Vichy. Parmi les allégations diffamatoires mentionnées par la décision, figure le fait que les symboles de Nouvelle Acropole sont dérivés de "l'extrême-droite théosophique, un vieux courant ésotérique qui inspira le nazisme" (Tribunal de Grande Instance de Paris 1997 : 6). Un appel est en cours. Ces controverses -- et le rôle qu'y jouent les apostats -- font de Nouvelle Acropole en France un sujet intéressant pour une étude quantitative des anciens membres.
La recherche
Une autre raison pour laquelle Nouvelle Acropole en France était un mouvement intéressant pour une investigation quantitative des anciens membres, est que, comme mentionné plus haut, elle ne prétend pas être une organisation religieuse. Elle ne réclame, ni ne reçoit, aucun avantage fiscal lié au statut de congrégation religieuse. Selon la loi française, elle doit garder des enregistrements complets et précis des cotisations annuelles payées par les membres. En conséquence des controverses publiques, elle a été le sujet d'un contrôle fiscal conclu en 1989, dont les résultats ont été favorables à Nouvelle Acropole. En 1997, la direction française de Nouvelle Acropole a accepté la proposition du CESNUR (le Centre d'Études sur les Nouvelles Religions, dont le directeur est le signataire) de mener une étude quantitative des membres qui ont quitté l'association en France entre janvier 1986 et avril 1997. Selon l'accord entre le CESNUR et la branche française de Nouvelle Acropole, nous avons eu accès aux enregistrements des membres sur les dix dernières années, indiquant combien de membres ont arrêté de payer leur cotisation annuelle après l'année 1986 (incluse). Les enregistrements de Nouvelle Acropole ont été vérifiés par l'équipe du CESNUR incluant un avocat expérimenté en enregistrements et droit fiscal. Nous n'avons trouvé aucun élément permettant de penser que les enregistrements aient été falsifiés, et une telle falsification serait en réalité extrêmement dangereuse pour Nouvelle Acropole étant donné l'attention dénuée de toute indulgence portée par les inspecteurs fiscaux aux groupes listés dans le rapport parlementaire de 1996 comme "sectes" (5) . Nous avons reconnu les noms de quelques apostats connus qui devinrent publics par leurs critiques de Nouvelle Acropole, mais les autres noms ne nous ont rien dit. Les étiquettes furent fixées sur les enveloppes contenant le questionnaire, et aucune copie ne fut gardée par le CESNUR. Nous dûmes envoyer une seconde fois un nombre limité de questionnaires, qui revinrent avec l'indication que l'adresse n'était peut-être pas complètement erronée, mais selon l'accord que nous avions avec Nouvelle Acropole, nous avons détruit toutes les enveloppes mentionnant le nom des expéditeurs. Nous avions, dans tous les cas, recommandé que les réponses soient envoyées anonymement, et beaucoup le furent.
Une appréciation de ce que signifie exactement être "membre" de Nouvelle Acropole en France semble pertinente à ce stade. Les statuts distinguent six catégories de membres. Les catégories I, II et III incluent respectivement, les deux fondateurs en France (Mr Schwarz et Mme Winckler), les membres honoraires et les soutiens qui ne font pas partie de l'association, bien qu'y contribuant financièrement ou autrement. La catégorie V inclue les membres actifs de l'association qui ont suivi au moins un cours de premier niveau, ont demandé à devenir membres et participent à un certain nombre d'activités. La catégorie IV englobe les membres de la catégorie V occupant des postes de dirigeants nationaux. La catégorie VI inclue les membres de ce qui est appelé le Centre Culturel de Nouvelle Acropole. Ils paient une faible cotisation annuelle, et reçoivent quelques publications et une réduction sur les prix des conférences organisées par l'association. Ils ne sont pas membres du Centre de Formation Philosophique (le véritable cúur de l'association) mais seulement du Centre Culturel. Ils ont des contacts limités avec l'association et ne peuvent être considérés comme membres du mouvement social correspondant dans aucune acceptation sociologique courante.
Les membres du Centre Culturel étaient environ 2000 en 1991 et les chiffres sont sensiblement restés les mêmes en 1997. Les membres du Centre de Formation Philosophique (nous les appellerons membres de Nouvelle Acropole en France : catégories IV et V) étaient 701 en 1986, 710 en 1991 et 260 au 30 avril 1997. Il apparaît ainsi que Nouvelle Acropole a perdu presque deux tiers de ses membres en France entre 1991 et 1997. Les membres sortants sont en fait plus de 450, étant donné que, dans l'intervalle, de nouveaux membres sont également arrivés. Notre examen des enregistrements montre 530 membres sortants (i.e. des anciens membres qui ont arrêté le paiement de leur cotisation annuelle) entre Janvier 1996 et Avril 1997. Les questionnaires ont été envoyés aux 530 membres ayant quitté, bien qu'un problème évident était que l'association n'avait pas gardé trace de leurs changements d'adresse une fois qu'ils ont quitté. En fait, sur les 530 questionnaires, 236 ont été retournés avec "n'habite pas à l'adresse indiquée" ou une indication similaire (dans certains cas les commentaires de la poste était ambigus et nous avons essayé un second mailing avec accusé de réception). Sur les 294 adresses qui ont théoriquement reçu le questionnaire, 120 ont répondu (bien que leurs réponses soient incomplètes). Ceci fait encore 22,6% de réponses sur la population totale des anciens membres, un résultat plus qu'honorable en matière d'étude quantitative.
Le questionnaire
L'Annexe A inclue le questionnaire et le pourcentage de réponse correspondant. Les questions 13 à 17 demandent des informations démographiques et d'ordre général (sexe, âge, religion, profession, statut marital). La première et la deuxième question demandent pour combien de temps le répondant a été membre de Nouvelle Acropole et quand il ou elle a quitté. Les questions 3 à 12 réclament une évaluation de la vie à Nouvelle Acropole, des raisons du départ et des critiques les plus courantes (y compris politiques) sur le groupe.
L'échantillon apparaît être divisé également entre répondants masculins et féminins. Le groupe d'âge le plus représenté (42,50%) est de 30 à 40 ans, suivi par les 40-50 ans (28,33%). Les jeunes anciens membres sont comparativement plus rares (personne en dessous de 18 ans, 2,50% entre 18 et 25 ans). 57,14% des répondants se déclarent de religion "catholique" (le questionnaire ne demandait pas s'ils sont catholiques pratiquants). 25,21% se déclarent "sans religion". Une variété de professions, plutôt de classe moyenne, est représentée dans l'échantillon. Les professions libérales prévalent (avocats, docteurs, consultants d'affaire : 14,29%), suivis par les professeurs et les instituteurs (9,24%). Une minorité significative est au chômage (8,40%). Une majorité des répondants (57,14%) est célibataire.
La plupart des répondants sont restés à Nouvelle Acropole plus de trois ans (31,67%). Seulement 2,50% sont restés moins de 6 mois avant de partir. Concernant le moment du départ de Nouvelle Acropole, le groupe le plus important a quitté il y a plus de trois ans (48,74%). Considérant le fait que beaucoup de membres qui ont quitté depuis trois ans ou plus n'ont pas été touchés parce que leur adresse a changé, ce pourcentage pourrait être encore plus important.
Les répondants sont également répartis entre ceux qui regardent leur engagement passé à Nouvelle Acropole comme très important (24,17%), important (39,17%) et pas particulièrement important (35%). 74,79% ont fait leur -- et continuent de le faire -- la propre définition de Nouvelle Acropole comme "une philosophie". 22,69% la considèrent comme "une association culturelle". Seulement 3,36% la définissent comme "une religion" et 2,52% comme "un mouvement politique". Au sujet des raisons du départ, une grande majorité (64,96%) indique que l'expérience "quoique intéressante" s'était déroulée pour un temps suffisant. Le second groupe le plus important (10,96%) mentionne des changements négatifs dans l'ambiance de l'association. 8,55% mentionnent simplement qu'ils ont déménagé (vraisemblablement dans une ville où il n'y a pas de centre Nouvelle Acropole). Les raisons "idéologiques" pour quitter sont mentionnées par de plus petits pourcentages. 7,69% mentionnent qu'ils ont rejoint un "autre mouvement, ou groupe ou église" et un pourcentage identique déclare qu'ils "ne croyaient plus dans la doctrine". 6,84% ont été influencés par l'hostilité des médias, et 1,71% par les jugements négatifs de parents et d'amis.
Une question importante est de savoir si les mouvements anti-sectes ont joué un rôle dans la décision de quitter Nouvelle Acropole. 7,50% mentionnent l'ADFI (le plus grand mouvement anti-sectes français). Personne dans notre échantillon ne mentionne le CCMM (le second mouvement anti-sectes français) mais 0,83% se réfèrent à une organisation anti-sectes non spécifiée. L'Annexe B montre les différents résultats respectifs de toutes les questions, mesurés sur ceux qui attribuent un rôle aux mouvements anti-sectes dans leur décision de quitter Nouvelle Acropole en proportion de l'échantillon général.
Une autre question importante est l'opinion actuelle des répondants sur Nouvelle Acropole. La question "C'est probablement ma voie, je regrette de l'avoir quittée" identifie le démissionnaire classique. C'est la réponse de 17,95% des répondants. Une large majorité, cependant, répond que "c'est une voie intéressante, mais ce n'est pas ma voie" (69,23%). 2,56% pensent que la voie de Nouvelle Acropole "n'est pas très intéressante". Les réponses typiques d'apostats (une association "diffusant de fausses idées" : 1,71% ; "une secte dangereuse" : 10,26%) correspondent à une minorité de répondants. De même, quand on demande si Nouvelle Acropole a exercé sur eux "une pression excessive" 68,33% répondent qu'ils pensent qu'ils ont "toujours été libres", et 21,67% également répondent par la négative, bien qu'ils concèdent que l'association était "stricte". 6,67% accusent Nouvelle Acropole de "lavage de cerveau" et 2,50% de "fraude". Une question parallèle concerne l'argent. 85,83% ne regrettent pas l'argent dépensé avec Nouvelle Acropole. 6,67% regrettent d'avoir dépensé de l'argent dans l'association, et 5% pensent que l'argent a été "volé par une escroquerie".
Nous avons inclus aussi deux questions politiques. Une interrogeait les répondants sur leur opinion quand ils entendent Nouvelle Acropole être accusée d'être un mouvement "nazi", fasciste" ou "d'extrême-droite". 77,12% des répondants regardent ces accusations comme fausses et "une calomnie", et 5,08% comme vraies. 14,41% choisissent l'option que Nouvelle Acropole est un "mouvement de droite, mais ni fasciste, ni nazi". 7,56% pensent aussi que Nouvelle Acropole diffuse une idéologie raciste.
L'Annexe B mentionnée plus haut, montre les effets sur les réponses d'un contact significatif avec un mouvement anti-sectes. Une majorité de ceux qui ont été influencés par un mouvement anti-sectes considèrent leur engagement passé à Nouvelle Acropole comme important (60%). Certains ont été persuadés que Nouvelle Acropole (selon la version anti-sectes) est une religion (20% contre 3,36% dans l'échantillon général), mais la moitié continuent à la considérer comme une "philosophie". Ceux qui ont été en contact avec les mouvements anti-sectes sont plus susceptibles (30%) d'avoir été influencés par des médias hostiles. Ils considèrent largement Nouvelle Acropole comme une "secte dangereuse" (88,89%) et attribuent la continuité de leur présence au "lavage de cerveau" (80%). Ils sont aussi plus susceptibles (70%) de considérer les dirigeants qu'ils ont rencontrés comme "intolérants" et de déclarer que l'argent leur a été volé par escroquerie (50%). 30% de ceux qui ont été en contact avec un mouvement anti-sectes considèrent que les étiquettes de "extrême-droite", nazi" ou "fasciste" accolées à Nouvelle Acropole comme "vraies (bien que 50% d'entre eux préfèrent considérer le mouvement comme "de droite mais ni fasciste, ni nazi"). 70% du sous-groupe "anti-sectes" considèrent aussi l'idéologie de Nouvelle Acropole comme "raciste". La différence principale dans la démographie est que 70% de l'échantillon anti-sectes (comparé à 35,29% de l'échantillon général) est marié. Le tableau 1 compare quelques réponses de l'échantillon général (G) et des répondants déclarant qu'un mouvement anti-sectes a joué un rôle dans leur décision de quitter Nouvelle Acropole.
TABLEAU 1
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N. A. comme religion |
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Influencé par médias hostiles |
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N.A. comme "secte dangereuse". |
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Lavage de cerveau utilisé par N.A. |
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Dirigeants de N.A. comme intolérants |
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Argent volé par escroquerie |
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N.A. comme extrémiste, nazi ou fasciste |
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N.A comme raciste |
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Répondants mariés |
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Le tableau 1 montre avec quelle intensité l'intégration dans un mouvement anti-sectes affecte la perception de Nouvelle Acropole par les anciens membres.
Nous avons aussi fait un tri croisé des réponses selon les trois identités présupposées par notre étude : les partants ordinaires, les démissionnaires et les apostats. Nous avons considéré comme démissionnaires ceux qui répondent à la question 7 que Nouvelle Acropole "est probablement ma voie, je regrette de l'avoir quittée" et en même temps n'ont pas senti que Nouvelle Acropole exerçait sur eux une pression excessive. Nous avons classé comme apostats ceux considérant Nouvelle Acropole comme "une secte dangereuse" ou "une association répandant de fausses idées" ; et/ou accusant Nouvelle Acropole de "lavage de cerveau" ou escroquerie ; et/ou déclarant que l'argent a été "volé par escroquerie". Les répondant qui ne sont pas qualifiés de démissionnaires ou d'apostats ont été classés comme partants ordinaires. Les résultats sont présentés dans le tableau 2.
TABLEAU 2
(pourcentages) | |
partants ordinaires | 71,7 |
démissionnaires | 16,7 |
apostats | 11,7 |
Les tabulations croisées ne montrent pas de résultats extrêmement significatifs concernant le temps passé à Nouvelle Acropole, quand le mouvement a été quitté et les données démographiques. D'un autre côté, les apostats sont moins fréquents (6,9%) et les démissionnaires plus fréquents (31%) parmi ceux qui considèrent leur engagement à Nouvelle Acropole comme "très important". Les apostats représentent 75% des répondants considérant Nouvelle Acropole comme une "religion". Cependant, 42,9% des apostats continuent à considérer Nouvelle Acropole comme une philosophie. Sans surprise, 88,9% de ceux qui attribuent un rôle à l'ADFI dans leur décision de quitter Nouvelle Acropole sont devenus apostats. Les apostats, en majorité, sont encore réticents à identifier Nouvelle Acropole comme "fasciste" ou "nazie". Une large frange d'entre eux (46,2%) préfère la considérer comme un mouvement de droite, mais ni nazi, ni fasciste. Seuls les apostats accusent Nouvelle Acropole de diffusion d'idées racistes.
TABLEAU 3
La perception politique de Nouvelle Acropole parmi les anciens membres (pourcentage).
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Accusations fausses en général |
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De droite, mais ni nazi ni fasciste |
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Extrémiste, nazi ou fasciste |
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Diffuse des idées racistes |
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III. Conclusions
Bien que pour être complète, une étude sur d'anciens membres de Nouvelle Acropole France devrait comporter également une certaine part de recherche qualitative, sous la forme d'histoires individuelles d'ex-membres, l'importance de la recherche quantitative ne doit pas être sous-évaluée dans ce domaine. En fait, quand il s'agit de nouveaux mouvements religieux, certains opposent l'approche des sociologues et la "vérité d'expérience" des anciens membres, cette dernière n'étant pas supposée ouverte à l'analyse sociale (Schlegel 1997). C'est à l'évidence une mauvaise appréciation, car les positions et les expériences des anciens membres sont accessibles tant à l'analyse sociologique qualitative que quantitative. L'analyse quantitative, en particulier, est nécessaire pour démontrer si l'expérience individuelle d'un ex-membre donné est représentative d'un groupe plus large. En cela, les résultats de cette étude, bien qu'ils ne soient en aucun cas définitifs, sont utiles pour susciter de nouvelles questions et rendre plus facile une recherche ultérieure.
I. Cette recherche confirme que les récits du Type II (partants ordinaires) prévalent largement parmi les membres qui sortent de la plupart des organisations sociales. Le présupposé courant que les apostats prévaudraient parmi les organisations fortement controversées peut ne pas être entièrement faux, mais ne signifie pas que les apostats constituent une majorité de membres quittant de tels groupes. Il n'y a pas de doute sur le fait que Nouvelle Acropole France est une organisation très controversée. Indépendamment du fait que ces accusations soient vraies ou non (6) , pour un grand nombre de médias français, Nouvelle Acropole incarne deux des peurs les plus répandues : la peur des sectes et la peur de l'extrême-droite. Nonobstant les controverses, notre recherche confirme que la majorité des membres quittant Nouvelle Acropole sont des partants ordinaires. Ils ont des sentiments partagés sur Nouvelle Acropole, mais regardent leur expérience passée comme n'étant pas entièrement négative. Ils restent largement inconnus et ne parlent habituellement pas aux médias. Le fait que des partants ordinaires et que des processus de départ non-conflictuels prévalent, y compris dans des organisations très fortement controversées, n'est en fait pas surprenant. Ceux qui ne sont pas attirés par les idées spécifiques de groupes comme Nouvelle Acropole, ne vont pas tout d'abord y adhérer.
2. Il est possible que des démissionnaires -- anciens membres qui en effet regrettent d'avoir quitté l'organisation -- soient moins présents parmi les anciens membres quittant un groupe minoritaire controversé comme Nouvelle Acropole, que parmi ceux quittant une grande organisation, comme l'Église Catholique Romaine. Une telle conclusion, bien que probable (voir Ebaugh 1988), devrait être confirmée par d'autres études sur le départ des grandes organisations. Cependant, même dans un groupe comme Nouvelle Acropole, le pourcentage des démissionnaires (16,7%) n'est pas insignifiant, et il y a plus de démissionnaires que d'apostats.
3. Le pourcentage d'apostats parmi les anciens membres de Nouvelle Acropole n'est pas non plus insignifiant (11,7%). Encore une fois, d'autres recherches seraient nécessaires, mais il n'est pas improbable que l'apostasie soit plus importante parmi les anciens membres de Nouvelle Acropole que parmi les ex-membres d'organisations sociales et religieuses moins controversées, telle que la prêtrise catholique romaine (Ebaugh 1988), et peut-être même, que certains nouveaux mouvements religieux ayant été soumis à des critiques moins extrêmes (voir Bromley 1988). Cependant, le fait que les apostats soient une minorité parmi les ex-membres, y compris de mouvements très controversés -- une situation apparaissant des recherches antérieures sur un éventail de groupes -- semble être confirmé par cette étude.
4. Une étude quantitative n'est peut-être pas indiquée pour répondre à la question de savoir pourquoi certains membres qui partent deviennent des apostats plutôt que des partants ordinaires ou des démissionnaires. Un point cependant ressort sans ambiguïté de nos résultats, et confirme les recherches d'autres auteurs (voir Bromley 1997b). Une écrasante majorité d'apostats ont été en contact avec une coalition d'opposition, dans ce cas un mouvement anti-sectes (en France, principalement l'ADFI). Une large majorité (88%) de ceux qui ont quitté Nouvelle Acropole après un contact avec un mouvement anti-sectes est devenue apostat. A l'inverse, tous les apostats ont eu des contacts avec un des mouvements anti-sectes. La plupart de ceux qui considèrent Nouvelle Acropole comme une "secte dangereuse" (88,89%) ont été en contact avec un mouvement anti-sectes et 80% des répondants qui ont été en contact avec un mouvement anti-sectes expliquent la continuité de leur présence à Nouvelle Acropole par la théorie du lavage de cerveau. Des mots comme "secte dangereuse" ou "lavage de cerveau" sont sélectionnés dans les questionnaires presque exclusivement par les répondants en contact avec les mouvements anti-sectes. Une fois intégrés à la subculture anti-sectes, les anciens membres ne deviennent pas seulement apostats, mais trouvent un certain nombre d'outils d'interprétation (en premier lieu la théorie du lavage de cerveau) qui vont finalement donner forme au récit de leur expérience au sein du mouvement. A l'inverse, ceux qui n'ont pas été exposés aux théories anti-sectes, utilisent rarement, voire jamais, le récit de "secte". Les apostats ne sont pas seulement une minorité parmi les anciens membres. Ils sont, de façon plus large, cette portion minoritaire des membres sortants qui apparaît comme étant entrée en contact avec les mouvements anti-sectes et ayant été intégrée à leur subculture particulière.
5. Tous les anciens membres -- qu'ils soient partants ordinaires, démissionnaires ou apostats -- résistent énergiquement à l'idée que Nouvelle Acropole serait un mouvement "nazi", "fasciste" ou "raciste". Dans la société française actuelle ces qualificatifs sont si inacceptables, que même en vue de construire un récit crédible d'apostat, il n'est pas facile d'admettre d'avoir partagé des idées si subversives. Les apostats et ceux qui ont été influencés par la subculture anti-sectes sont plus susceptibles de considérer Nouvelle Acropole comme une organisation "fasciste", "nazie" ou "raciste", mais même une partie significative d'apostats exprime son désaccord sur ces qualificatifs.
6. 75% de ceux qui considèrent Nouvelle Acropole comme une "religion" sont des apostats. Ceci est cohérent avec le récit anti-sectes qui décrit Nouvelle Acropole comme une secte religieuse (ou pseudo-religieuse). Les démissionnaires, les partants ordinaires (et même quelques apostats) croient encore que ce mouvement est ce qu'il déclare être : une école de philosophie ou une association culturelle.
7. Comme nous l'avons mentionné plus haut, Nouvelle Acropole a perdu au moins deux tiers de son noyau de membres (ou membres du Centre de Formation Philosophique) entre 1991 et 1997. Il serait facile, comme le font souvent les nouveaux mouvements religieux, de blâmer les campagnes des mouvements anti-sectes qui, en ce qui concerne Nouvelle Acropole, devinrent en réalité particulièrement importantes à partir de mars 1991. En fait, les apostats associés aux mouvements anti-sectes, tels que Miguel Martinez, prétendent parfois que leur activité publique a été un facteur crucial dans la crise du nombre de membres de Nouvelle Acropole en France. Cependant -- comme les recherches antérieures sur les nouveaux mouvements religieux l'indiquent -- de telles déclarations, tant des militants anti-sectes que des "sectes" elles-mêmes, sont largement exagérées. Les activités du mouvement anti-sectes, et les articles dans les médias qu'ils influencent, sont un facteur déterminant très mineur, quant au nombre de membres quittant un mouvement controversé. En fait, moins de 8% de notre échantillon considère les articles hostiles ou les mouvements anti-sectes comme un facteur de décision important pour quitter Nouvelle Acropole. Ceci semble confirmer, que, bien que pertinentes et parfois tragiques pour des individus spécifiques, les campagnes anti-sectes sont statistiquement moins efficaces que ce que beaucoup peuvent croire. D'un autre coté, les mouvements religieux, spirituels et philosophiques, ayant enregistré un déclin de leurs membres ne devraient peut-être pas blâmer trop vite la "persécution" extérieure ou les activités des mouvements anti-sectes ou des médias. Étant donné le résultat limité de ces activités, les facteurs internes semblent jouer un rôle beaucoup plus important (7).
8. Bien que largement conformés par leur intégration dans la subculture anti-sectes, les récits des apostats ne sont pas dénués de pertinence, et je ne suggérerais certainement pas de les ignorer. Cependant ils devraient être placés dans des contextes appropriés et comparés avec d'autres sources. Quand des récits d'apostat sont présentés comme s'ils étaient la voix authentique des anciens membres, ou de leur majorité, le résultat inévitable est une dangereuse déformation dans la présentation des groupes concernés.
NOTES
(1) Un délateur (en anglais littéralement : "celui qui souffle dans un sifflet") se définit habituellement comme un membre d'une organisation qui informe un organisme externe régulateur (par exemple la police) d'agissements illicites réels ou prétendus se déroulant dans le cadre de son organisation.
(2) C'est une typologie modifiée par rapport au travail de Bromley (1997b). Tout en m'appuyant largement sur l'étude initiale de Bromley, j'aimerais surtout mettre l'accent sur le rôle joué par les partants ordinaires. Je suis aussi largement redevable à Bromley (1997b) pour nombre de pistes bibliographiques inestimables.
(3) Dans les langues européennes comme le français, le mot diffamatoire utilisé est "secte" plutôt que "culte". A ce jour, et pour comprendre les controverses, la traduction anglaise appropriée du mot français "secte" (et de même avec les mots italien, espagnol et allemand) devrait être "cult" (et inversement, le mot anglais "cult" devrait se traduire par "secte" en français).
(4) Il est intéressant de noter que des universitaires chrétiens furent d'accord pour proclamer que le lavage de cerveau et les théories de contrôle mental étaient "anti-chrétiennes" parce qu'incompatibles avec des valeurs comme la responsabilité, le choix et le péché (voir Hexham et Poewe 1997 : 10).
(5) Bien sûr, quelques théoriciens du complot peuvent continuer d'argumenter que de faux livres d'enregistrement parallèles ont été produits uniquement pour notre usage. Nous mettons en doute que les bénéfices pour Nouvelle Acropole dans cette entreprise, s'ils existent, compenseraient les efforts exigés. En outre, les enregistrements que nous avons utilisés incluaient de façon évidente des apostats militants, ainsi que le montrent les résultats de l'étude.
(6) En fait, comme mentionné plus haut, des décisions de justices ont établi que certaines de ces accusations n'étaient pas vraies.
(7) D'un autre côté, des facteurs externes et les mouvements anti-sectes peuvent constituer une explication pertinente sur pourquoi un nombre réduit de nouveaux membres a été attiré par des groupes comme Nouvelle Acropole dans les dernières années.
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