CESNUR - Centro Studi sulle Nuove Religioni diretto da Massimo Introvigne
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londonThe 2008 International Conference
Twenty Years and More: Research into Minority Religions, New Religious Movements and 'the New Spirituality'

An International Conference organized by INFORM and CESNUR in association with ISORECEA at the London School of Economics, 16-20th April 2008

Bricoler avec une tradition ou appartenir à une autre tradition ?
(Playing with a tradition or belonging to another tradition ?)

by Régis Dericquebourg (“Religions, laïcités, Sociétés” (CNRS) - University Charles De Gaulle-Lille3 - France)

A paper presented at the 2008 International Conference, London, UK. Preliminary version. Please do not reproduce or quote without the consent of the author.

 

Dans cette communication, nous examinerons l’idée selon laquelle des mouvements spirituels « hors-piste » sont des bricolages avec une tradition et que leurs suiveurs sont des bricoleurs. Pour nous, ce qui a été qualifié de bricolage relève de systèmes de croyance spécifiques, en particulier le gnosticisme. Notre propos concerne les groupes que l’on situe dans le Nouvel âge.

L’idée d’une parenté entre le Nouvel âge et la gnose n’est pas neuve. Nous la trouvons dans un certain nombre d’écrits et de ce point de vue nous renvoyons au livre de Massimo introvigne[1] . L’auteur évoque la présence de la gnose dans l’idéologie du Nouvel âge sous la forme d’éléments de théosophie ou sous la forme d’un d’élément du christianisme gnostique bien qu’il affirme (p. 11)) que l’on ne peut réduire le New âge à la gnose. La remarque est juste car le Nouvel âge est multiple. En effet, depuis sa création, on y a inclus, par exemple, des psychothérapies nouvelles qui ne se situent pas dans la psychologie académique, même si des psychologues formés par l’université les pratiquent. Claude Rivière[2] signale aussi la présence d’un ésotérisme aux côtés de réinterprétations du chamanisme dans le Nouvel Age. Le rapport entre le ce dernier et la gnose n’avait pas échappé au sociologue Jean Séguy puisqu’il propose d’appeler ces courants : les réseaux sapienzo-gnostiques montrant ainsi ses liens avec les doctrines de sagesse et le gnosticisme.

Pour nous, la gnose ne pénètre pas seulement le Nouvel âge. Elle traverse aussi les Eglises de guérison[3] . Nous avons montré que le régime alimentaire préconisé par le fondateur de l’Alliance Universelle[4] (dit les disciples de Georges Roux dit le « Christ de Montfavet ») reposait sur une conception gnostique de l’homme et de la nature[5] et que l’ésotérisme gnostique imprégnait son enseignement ainsi que son œuvre romanesque (sous une forme métaphorique). Nous avons aussi montré que l’Enseignement de Ron Hubbard faisait appel à de nombreux éléments gnostiques[6] . Il en va de même de Invitation à la vie, des cercles de Bruno Gröning et l’Antoinisme (mesmérisme) et dans le raëlisme sous une forme évhémériste[7] .

Les critères du gnosticisme

Avant d’examiner la présence d’un ésotérisme sous sa forme gnostique dans le Nouvel âge, il convient d’en rappeler les critères. Ces derniers sont fournis par Antoine Faivre[8] et par Jean Pierre Laurant[9] . L’ésotérisme serait une forme de pensée identifiable grâce à six critères fondamentaux distribués selon un dosage variable à l’intérieur d’un vaste contexte historique et concret. Pour les auteurs, quatre critères sont requis pour que l’on puisse qualifier une croyance d’ésotérique. Ce sont : 1) les correspondances symboliques ou réelles entre toutes les parties de l’univers visible et invisible (tels que les sept rayons, les sept planètes, des parties du corps humain ou encore une harmonie entre des Textes sacrés et la nature). 2) L’idée que la nature est vivante dans toutes ses parties, qu’elle est parcourue par une lumière, qu’elle est régie par un jeu d’attraction et de répulsion et par un magnétisme. Je pense que l’on peut ajouter qu’elle comporte des vibrations car il en est question dans la théosophie. Cette nature est gouvernée par des lois et des forces cachées dont la connaissance permet d’agir sur la santé et sur le destin par l’intermédiaire d’élixirs, de pierres, de métaux, de plantes pour remédier à des dysfonctionnements physiques et psychologiques. Toutefois la visée principale des gnostiques est la connaissance. 3) L’imagination et la connaissance. L’ésotérisme imagine toutes sortes d’intermédiaires (anges transmetteurs, guides de l’espace, gourous, maîtres spirituels parfois cachés pour relier l’invisible au visible.4) L’expérience de la transmutation qui fait de l’ésotérisme plus qu’une spiritualité. Elle est plus qu’une simple transformation car la connaissance n’opère pas un changement linéaire dans l’individu. Elle fait changer de plan. Elle produit une seconde naissance à partir d’une transmutation selon un parcours balisé (œuvre au noir, œuvre au blanc, œuvre au rouge) d’une parcelle de la Nature et/ou l’expérimentateur lui-même.

Antoine Faivre ajoute à ces quatre critères deux critères secondaires. Le premier est la pratique de la concordance. Celle-ci consiste à établir des dénominateurs communs à toutes les traditions pour accéder à l’illumination par la connaissance d’un tronc vivant dépassant toutes les traditions pour accéder ainsi à une gnose de qualité supérieure. Le second est la transmission. Un enseignement ésotérique peut être transmis de maître à disciple pour produire chez celui-ci une seconde naissance à condition que les connaissances transmises soient valides. La transmission peut aussi passer par une initiation qu’elle qu’en soit la forme : progressive ou expérience-pic.

Le gnosticisme n’est pas seulement présent dans les œuvres des auteurs gnostiques. Le christianisme des origines comportait des éléments gnostiques contenus dans les Evangiles apocryphes, ceux qui ont été rejetés lors du premier concile de Nicée (325)et dont une partie a été découverte à Dag Hammadi en 1945). Selon Michel Quesnel[10] ils peuvent être classés en trois catégories : les Evangiles judéo-chrétiens, les Evangiles gnostiques (en particulier ceux découvert à Dag Hammadi), les Evangiles-fiction qui romancent une vie de Jésus. En examinant ces écrits, l’historien des religions : Bart Erhman[11] caractérise ce  christianisme en sept critères. 1) On y trouve la thèse des esprit primordiaux selon laquelle l’homme est un être spirituel emprisonné dans un corps matériel sans en avoir forcément connaissance. Cet être spirituel est une étincelle divine. 2) Le salut est obtenu grâce à la connaissance salvatrice que Jésus est venu livrer aux humains sur la Terre afin de réveiller en eux le l’étincelle divine. 3) Le vrai message de Jésus est secret. Celui qui sait l’interpréter ne fera pas l’expérience de la mort.  4) Jésus rétablit l’unité originelle dans une création tombée dans la dualité (Esprit et corps). 5) La plupart des gnostiques chrétiens préconisent un ascétisme rigoureux afin de contrôler et de punir un corps porteur du mal comme la matière dont il est fait. 6) Ils inventent des entités intermédiaires entre Dieu et les hommes.7) Ils revendiquent la qualité d’élite spirituelle.

La présence du gnosticisme dans un échantillon d’annonces du Nouvel âge.

Nous avons voulu tester la présence du gnosticisme dans le Nouvel âge. Pour cela nous avons pris les messages électroniques (mail) qui ont été envoyés par la société incipit-soleil (spiritsoleil.com) entre 2005 et mars 2008. Après avoir éliminé les doublons, il en restait 141.[12] Nous avons aussi éliminé un stage d’initiation à la radiesthésie qui n’évoquait aucun autre but que d’apprendre à servir d’un pendule et donc difficile à classer. Nous les avions enregistrés dans un dossier.

Interrogé par mail, le webmaster de ce site a défini son site de cette manière :
« L'objet de spiritsoleil.com est de décloisonner, favoriser la rencontre des diversités d'expériences et de cheminements de conscience et de connaissance de soi…  Permettre l'exploration de ces champs hors de tout dogme, de vérités révélées et intangibles, sans a priori, sans jugement, dans le respect de l'être. D'où des outils et supports pratiques permettant la rencontre des initiatives et propositions des initiateurs/praticiens avec le public (annonce agenda, annuaire de praticiens, informations, mailing,...) Evidemment ce site est hors normes en ce sens qu'il met en cause de fait l'ordre et les croyances institutionnelles, l'idéologie et la pensée dominante, la culture officielle; ou pour le moins les questionnent et offrent des pistes autres de réflexions et d'expérimentations. En accord avec notre démarche, nous ne sélectionnons pas a priori les informations et propositions diffusées dès lors qu'elles s'inscrivent dans le respect de la dignité humaine et visent à l'autonomie de l'être, laissant à chacun le soin de choisir, retenir, sélectionner, rejeter, expérimenter par lui-même. Le public? Vous, moi, lui, l'autre, tout un chacun, le citoyen, l'humain.
Plus précisément, sur la base des éléments statistiques à notre disposition:
- 1 million de visiteurs par an sur le site
- France (65%), Suisse (12%), Belgique (7%), Luxembourg (2%), autres pays francophones (4%), autres pays (10%)
- 12 000 abonnés à nos informations "push" (newsletter,mailing,...)
- 80% de femmes , 20% d'hommes de 18 à 77 ans
- pays : France (75%), Suisse (10%), Belgique (5%), Luxembourg (1%), autres pays francophones (6%),          autres pays (3%). »
Il s’agit d’un site que l’on peut qualifier de New âge.
a)Nous avons divisé les annonces en quatre catégories selon leur contenu.
a) la gnose. Nous avons considéré qu’une proposition de stage ou une conférence pouvait être qualifiée de gnostique lorsqu’on trouve une des mentions suivantes : les éléments dits fondamentaux ( « l’eau, la terre, l’air, le feu »), une libération des limitations du corps en vue d’un éveil à « l’être spirituel » qui serait en soi, un rappel aux Cathares ou au Graal, une transposition de l’alchimie ou la mention affichée de l’alchimie (sauf sous sa forme poétique comme : l’alchimie du couple), une activation du « corps de lumière », une angélologie, une mention des Esséniens, l’évocation de « rayons primordiaux », une invitation à la découverte du sens caché des lettres hébraïques, la numérologie, la mention de correspondances (les douze arbres du corps mis en correspondance avec les arbres de l’esprit et avec les anges gardiens), la référence au rosicrucianisme, l’ascension gnostique, la connexion divine et la nourriture pranique, le tarot, l’Agartha, le réveil de l’étincelle divine en soi, les sept corps, le dépassement des dualités pour retrouver l’unité, la géométrie sacrée, le magnétisme (mesmérisme).

b) Le bien-être. Les annonces portent essentiellement sur des stages de massage : massage japonais, massage ayurvédique, la lympho-énergie.

c) La médecine alternative. Nous avons regroupé dans cette catégorie les annonces pour des remèdes et non pas pour se sentir bien. Nous avons choisi les références aux élixirs, à la lithothérapie, au rééquilibrage des méridiens, à un rééquilibrage énergétique, à l’amélioration de la force vitale et de la sexualité.

C) Spiritualité. Nous classons dans cette rubrique les annonces de stages, de conférences destinés à « trouver la vérité » sous entendue divine  à faire une expérience spirituelle ou encore les stages d’initiation à la religion celte, à des techniques de méditation vibratoires, au chamanisme, à l’éveil pour la libération, au sô de la guérison, au bouddhisme et au tantra.

D) Les psychothérapies. Nous avons inclus dans cette classe les références : à la découverte du « roman familial » comme l’appelle Freud (la psychogénéalogie, les constellations familiales), à la bioénergie, à la libération des contraintes des programmes inconscients anciens, à la découverte de soi vue sous l’angle d’une dimension multiple de l’être humain, aux techniques de développement personnels y compris celles qui proposent de recourir à l’état divin, à la thérapie par les mouvements oculaires, aux états modifiés de conscience, au souffle et à la biologie. Nous observons qu’on rencontre peu de « nouvelles psychothérapies » qui furent autrefois à la mode telles que l’analyse transactionnelle, la programmation neurolinguistique, le rebirth, la thérapie biodynamique, l’art-thérapie. Celles que nous avons rencontrées dans notre corpus établissent parfois un lien entre le corps, une activité psychologique et un domaine supraemprique. Parfois, on trouve une référence aux archanges ou à des archétypes.
Nous avons calculé la proportion de chaque catégorie dans les 141 annonces.

Classification

items

percent

Psychotherapy, self development

51

36.17

Wellness and well being

12

 8.51

Unofficial medecines

18

12.76

Spirituality

14

 9,92

Gnose

46

32.62

Total

141

100 99.98

Nous constatons que le nombre de stages et de conférences de la catégorie « psychothérapie et self développement »  est supérieur aux autres. Dans notre échantillon, le nouvel âge est un domaine de résolution de problèmes personnels. Mais la catégorie « gnose » arrive en second avec prés d’un tiers des items. La gnose est en réalité plus représentée car si on considère les références de base des médecines non-reconnues ainsi que celles des psychothérapies et du développement personnel sont parfois gnostiques. En fait, nos catégories sont fondées sur le but : se sentir bien, guérir de maladies, remédier aux problèmes psychiques ne tiennent pas compte ni des références théoriques de base, ni des outils. Or on constate que dans les médecines alternatives que le but est de guérir mais que les outils sont parfois : les pierres et les élixirs prescrites selon leur vertus supposées et entrant dans un système de correspondances, une mise en conformité avec des lois de l’univers (lois énergétiques, par exemple) ou encore un contact avec « nos guides » et « nos êtres de lumières »). On trouve donc aussi des éléments d’ésotérisme. Du point de vue méthodologique, il faudrait recourir à une analyse de contenu lexicale pour distinguer les catégories de vocabulaire employées dans les annonces. En ce cas, l’hypothèse du primat du vocabulaire gnostique peut être formulée.

On voit aussi que certaines psychothérapies du Nouvel âge hormis celles qui font appel à l’examen du roman familial ne font pas référence à des soubassements scientifiques mais qu’elles en appellent à un système de correspondances que l’on peut considérer comme ésotériques. L’exemple d’une théorie psychologique du Nouvel âge[13] qui ne figure pas dans l’échantillon le montre. Les présupposés de  cette psychologie sont : a) l’astrologie ésotérique de A. Bailey dans laquelle les auteurs avouent avoir puisé une bonne partie de leur exposé, b) un système de correspondances planétaires ou les astres sont reliés à des organes, des couleurs, des prédispositions à la maladie, c) un symbolisme (diverses sortes de croix),d) la science des triangles, une psychologie ésotérique des sept rayons et des considérations sur les supposés chakras. (Voir les tableaux de correspondance en annexe). On y trouve trois lois cosmiques qui gouvernent l’univers (la loi de synthèse, la loi d’attraction et de répulsion, la loi de l’économie) ainsi que la mention du corps astral. Somme toute, tout n’est que mise en relation d’éléments qui prennent une valeur symbolique grâce à des correspondances pour créer un être virtuel relié au cosmos. Ce corpus théorique est appliqué à la relation d’aide. La guérison serait obtenue en apportant des éléments défaillants (astral, vibrations), ce que nous avons appelé une médiation d’apport dans les Eglises de guérison. Un des auteurs se réclame du martinisme. On peut appliquer le qualificatif gnostique à cette psychologie. On trouve la même base doctrinale dans les annonces que nous avons affectées à la rubrique « psychothérapie et  développement personnel » de notre échantillon.

Si on s’en tient aux annonces concernant la spiritualité et la gnose, nous pouvons comparer leurs poids respectifs.
Tableau.

Spirituality

14

23.33

Gnosis 46 76.66

Total     

60

100(99.99)

Nous pourrions dire la même chose à propos de la spiritualité qui est parfois de type « ésotérisme chrétien » dans la rubrique « spiritualité ». Nous pensons notamment aux annonces qui utilisent le mot « christique » (le Christ est un Maître parmi d’autres) et non le mot chrétien (le Christ est le seul rédempteur).

Nous remarquons simplement qu’il existe un fond gnostique qui va au-delà de la catégorie : « gnose » de notre classement. Nous observons qu’on ne trouve pas de stage d’initiation à la pensée des auteurs gnostiques. Cela se passe comme si on découpait le gnosticisme et qu’on initiait à une composante. Est-ce cet ésotérisme dilué dont des écrivains ont récemment exploité la veine dans des romans qui réalisèrent des ventes importantes ? Toutefois, nous pouvons faire la même remarque à propos des stages de psychothérapie et de développement personnel. Ils sont centrés sur un aspect : les constellations familiales, les blessures psychiques de l’enfant mais pas dans une exploration globale du passé et de la relation à l’autre comme dans les grands systèmes de psychothérapie.

Un bricolage ?

Du point de vue de la spiritualité, nous avons observé que le Nouvel âge portait l’empreinte de la gnose. Il inclut aussi des pratiques de marge. Ainsi, dans les annonces de stage, le bouddhisme proclamé n’est pas le bouddhisme qui s’affiche comme « officiel ». Il s’agit de stages de méditation visant un but précis comme la guérison ou l’impression d’harmonie intérieure c’est-à-dire une appropriation de l’idée bouddhiste par un maître pour de fins autre que le salut. Nous n’avons pas trouvé de syncrétismes, ni même de simples amalgames.

Toutefois, des croyants « hors-pistes » peuvent chacun de leur côté faire des assemblages qui sont des théories personnelles. On parle alors de bricolage individuel[14] . Il s’agit d’une appropriation de croyances correspondant à une quête personnelle de sens ou de bienfaits. Le fait ne semble pas se limiter aux New âgers.

Des chrétiens ont toujours ajouté à leur credo, toute sortes de superstitions pour éloigner le malheur. Ils consultent des voyantes, des astrologues quand la détresse les affecte ou encore des médiums quand le deuil d’un proche est difficile et ce en dépit de la méfiance exprimée envers ce types de pratique par leur Eglise depuis le concile d’ancyre (314). Des chrétiens lisent les rubriques astrologiques des journaux. Des catholiques confrontés à une maladie peuvent utiliser les « moyens du bord » en allant accrocher un tissus (mouchoir, bavoir) appartenant au malade sur un « arbre à loques (chiffons) » qu’aurait touché un « saint » non officiel ou contesté historiquement. Cet arbre pourrait même avoir été touché par un saint authentique qui, selon des légendes locales qui défient le travail de l’historien, serait passé par là. Un catholique peut prier devant la chapelle d’un soi-disant saint dont il sait que la légitimité religieuse et, parfois même l’existence posent problème. Le prêtre et l’évêque du lieu s’en désintéressent ou même s’en agacent. Il suffit que dans la légende quelques réussites sur le plan du malheur ou des maladies soient évoquées pour qu’un croyant y fasse une dévotion que l’on dit populaire.

Confrontée à ces pratiques et ces croyances, les Eglises chrétiennes ont du négocier. A ce titre, nous pouvons nous référer à un livre de Claude Lecouteux[15] . L’historien relate les expériences de « mort » et de « résurrection » que des chrétiens auraient faites et qui ont posé un problème d’interprétations aux théologiens. Parmi, elles, il cite le cas de Godeschalc (Neumünster, Holstein, 1190) mort et ressuscité dont les clercs disent qu’il a eu une sortie de l’âme (et non du corps subtil ou du Double). Ce sont les versions anciennes du Channelling et des « Near Death experiences » chers au Nouvel âge. Il cite les visions pendant les songes de chrétiens, celles des revenants (devenus « âme en peine » (P. 69-70). L’auteur évoque une idée farfelue comme la transformation d’humains en loups-garous. Celle-ci fut interprétée, donc prise en compte et non rejetée comme fantaisie- par Guillaume d’Auvergne (1180-1249, évêque de Paris en 1228 dans les pages de son traité sur l’univers (De Universita) comme une possession. Pour Saint Augustin (354-430) aussi le phantasticum est une possession démoniaque. Claude Lecouteux mentionne également l’expérience de dédoublement avec autoscopie que des théologiens ont pris et interprété selon l’enseignement de l’Eglise. De cette façon, des croyances difficiles à éradiquer pouvaient survivre en tant qu’hétérodoxies récupérées. De même, le genius romain (puissances supérieures de Dieu) fut «  intégré au christianisme et la croyance poursuit sa carrière sous les habits neufs de l’ange », ici ange gardien. (p.185-186). Pour Lecouteux, « l’Eglise n’a jamais réussi à extirper tout ce qui touchait à la mort et à l’au-delà » (p.17). Il poursuit plus loin (p.186) : « Il y aurait un gigantesque travail de recherche à faire pour découvrir tout ce que l’Eglise médiévale a intégré et digéré en matière de croyances autochtones. Un certain nombre de choses a été décelé, mais que d’ombres encore ! »

Nous pourrions également évoquer le cas de la voyance. Georges Minois[16] nous enseigne que les théologiens du début de l’ère chrétienne ont condamné les techniques superstitieuses parmi lesquelles on trouve les différentes forme de voyance mais qu’ils ont accordé une place à une forme de voyance appelée : le don de prophétie pour tenir compte des prédictions reçues par des extatiques chrétiennes que l’auteur considère comme proche du christianisme gnostique par l’idée d’incorporation divine.
Il semble donc que l’assemblage de croyances et de pratiques parfois appelés bricolage peut concerner autant une grande confession que le Nouvel âge. Le New âge fait lui-même les articulations entre les éléments alors que dans les cas que nous venons d’exposer, elles sont faites par des théologiens. Et finalement, avons-nous affaire dans ces cas à des bricolages ?

 D’autre part, le butinage du New ager n’est pas nécessairement incohérent. Il peut être régi par une visée ou rationalité consciente ou inconsciente. Le new ager ne prend pas toutes les offres disponibles et nombreuses. Il choisit. Il accomplit une quête à travers certains groupes. Une analyse de parcours sur la base d’entretiens approfondi permettrait d’en saisir la rationalité. L’incohérence des choix de pratiques et de sens n’est peut-être qu’apparente comme n’est sans doute qu’apparente le parcours d’un patient qui suit toutes sortes de stages de développement personnel. Sur la question de l’incohérence et de la rationalité, nous pouvons prendre l’exemple de l’enfant à qui on demande de ranger des objets. Il fait des tas qui ne correspondent pas aux critères d’utilité, de couleur, de taille. Cela paraît incohérent mais en l’interrogeant, le psychologue peut découvrir qu’il a classé les objets selon les sentiments qu’il éprouve envers eux : il a fait un tas avec ceux qu’il aime, une autre avec ceux qu’il n’aime pas, un autre avec ceux qu’il aime assez bien… Ou encore qu’il a inventé deux classes donc deux tas : les objets méchants et les objets gentils. Le choix du critère de classement peut échapper à l’observateur qui ne connaît pas le mode de fonctionnement cognitif (la rationalité) de l’enfant. De même, il y a peut être un but dans une quête personnelle qui s’exprime par un nomadisme dans les mouvements du Nouvel âge. A partir d’une visée, le New ager lit les publicités, écoute des pratiquants du nouvel âge, considère ses moyens et ses disponibilités et fait des choix. Même s’il suit les modes et les engouements pour un type de stage et de conférences, il ne bricole pas, il suit la mode.

 Certains poussent plus loin la notion de bricolage et considèrent les mouvements du Nouvel âge comme des bricolages voire des bricolages avec la tradition (les traditions seraient une expression plus adéquate si ces auteurs se réfèrent aux grandes confessions). Les mouvements cités bricolent-ils avec une tradition ?

La notion de bricolage a été élaborée en ethnologie par Claude Lévi-Strauss. Elle désigne l’exécution d’un grand nombre de travaux avec les « moyens du bord », fait sans recours à un projet qu’un ingénieur opérationnalise[17] . Nous ne reprendrons pas la mise en cause que Derrida fait de la distinction entre le bricoleur et l’ingénieur[18] car allongerait l’article. Or, nous l’avons vu : les groupes religieux dont nous nous occupons dans cet article sont gnostiques. Le gnosticisme peut apparaître à des degrés divers. On peut n’en retenir que certains éléments. L’essentiel est que l’on y retrouve les principes de base, mais il n’est pas mélangé à un christianisme. Quand il se dit christique, il est gnostique chrétien lequel n’est pas un bricolage mais une forme de christianisme abandonné lors du premier concile de Nicée. Quand il fait appel au bouddhisme et à l’hindouisme, il en reprend les éléments que la théosophie ou que des gnostiques ont repris dans leur synthèse. D’autre part, en ce qui concerne la comparaison peut-on dire que le croyant orthodoxe ne regardant pas ailleurs est un ingénieur de la foi à la différence du bricoleur new Ager ? La question mériterait d’être discutée puisque poser un terme de la dichotomie appelle l’autre terme qui contribue à sa définition.

Jeu avec la tradition ou autre tradition ?

Dire que les croyants bricolent avec la tradition laisse l’impression de tenir un propos limpide. Or, lorsqu’on s’intéresse à la notion de tradition, on s’aperçoit que celle-ci pose problème.  L’ethnologue Gérard Lenclud[19] fait une analyse critique de l’usage du mot tradition en ethnologie et en sociologie. Reprenons ses remarques en nous en tenant à ce qui est utile pour notre propos. 1) On ne peut accepter la définition de la tradition comme « ce qui se transmet ». Car tout ce qui se transmet n’est pas une tradition. Ce que l’on présente comme une tradition serait obtenu à partir d’un filtrage de ce qui est ancien. Elle serait une construction actuelle faite d’éléments du passé que l’on a choisi de transmettre et non une simple répétition du passé. 2) Les ethnologues ont considéré que la tradition des sociétés traditionnelles est une permanence du passé dans le présent sans connaître leur passé c'est-à-dire sans avoir les moyens de vérifier si ce qu’ils observent au moment de leur enquête et qu’ils attribuent à la tradition est réellement une reproduction à l’identique de « conduites originelles ». Par exemple, l’ethnologue peut observer que, au même moment et dans des groupes semblables, des rituels « traditionnels »  varient et que les acteurs disposent d’une marge de liberté dans leur accomplissement. D’autre part, c’est l’ethnologue qui choisit de nommer comme traditionnels les pratiques et les énoncés qu’il recueille et qu’il met en ordre. L’idée d’une tradition comme conservation du passé n’est donc pas évidente. 3) La tradition serait, selon une idée de Pouillon reprise par l’auteur, « un point de vue » que « les hommes du présent développent sur ce qui les a précédés, une interprétation du passé conduite en fonction de critères rigoureusement contemporains » pour trouver des solutions référées au passé mais pensées maintenant. « Dans cette acception, elle n’est pas (ou pas nécessairement) ce qui a toujours été, elle est ce qu’on la fait être ». Donc ce serait pour Pouillon une « rétroprojection », « une filiation inversées », la tradition, le passé sont façonnés d’une certaine manière par les hommes du présent pour cautionner un manière de vivre contemporaine (stratégie d’ingénieurs ou bricolage ?). On voit ici poindre les difficultés des discussions sur le thème « tradition et modernité » qui ont occupé beaucoup de sociologues pendant un temps puisque les traditions supposées, que l’on compare à la modernité sont des produits de la modernité. 4) Avec l’accumulation des archives, des livres et des musées, avec les antiquaires et tous les historiens et les gardiens du passé, les sociétés modernes devraient être les plus traditionnelles car le poids du passé est y bien plus présent que dans les sociétés dites traditionnelles. Le traditionalisme consisterait, selon Boyer à choisir des éléments du passé et à les préférer à d’autres. Ceci est valable aussi pour les sociétés traditionnelles qui pourraient privilégier de raconter certains mythes plutôt que d’autres (mais on ne trouve pas dans les sociétés traditionnelles des personnes défendant farouchement la lettre de la tradition orale). 5) Les sociétés de l’écrit n’échappent pas à la construction de la tradition. Simplement, on fait des relectures, on privilégie la soi-disant bonne version à une autre. On le constate dans la référence aux textes sacrés ou dans les révisionnismes ainsi que dans la mise à l’écart de tous les textes anciens pour proposer une « innovation radicale ».

Cette digression tend à montrer que la notion de tradition n’est pas suffisamment étayée sociologiquement pour que l’on puisse en faire la base d’une distinction entre les religions et les « conceptions du monde ». Il est a fortiori impossible de dire que certains croyants jouent ou bricolent avec une tradition. Ils reprennent ou recomposent des croyances et des pratiques passées ou ils innovent au même titre que des Eglises établies ou des ordres initiatiques en proclamant que c’est de la tradition ancienne. Quand des mouvements se proclament radicalement nouveaux, le sociologue rappelle parfois au vu de l’histoire des idées que leur nouveauté n’est pas aussi neuve qu’ils ne l’affirment.

Ceux qui adhèrent aux mouvements du Nouvel âge ne jouent pas avec de supposées traditions. Ils construisent leur bouddhisme, comme les bouddhistes contemporains reconstruisent le bouddhisme pour montrer comme ils l’ont souvent fait[20] depuis le dix huitième siècle que cette religion fournit aux occidentaux des réponses adaptées aux problèmes de  leur temps (il s’est présenté comme écologique, comme une technique d’exploration de soi, comme un antistress..). Ils réinventent un chamanisme. Ils construisent une médecine alternative supposée traditionnelle qui utilise parfois des remèdes qualifiés d’ancestraux ou de millénaires. Ils filtrent les Sagesses comme on l’a toujours fait pour justifier une action dans le monde, et selon nous ils sont aussi et actuellement principalement gnostiques, c'est-à-dire qu’ils perpétuent un système de pensée remanié en fonction des quêtes de sens, de la recherche du salut, des demandes de bonheur en révisant les théosophies, les auteurs gnostique ou en innovant selon des principes qui se trouvent être ceux de l’ésotérisme. Le nouvel âge actuel est peut-être un retour du mode de pensée gnostique sous une forme « diluée ».

Conclusion

Dans cette communication, nous avons tenté de montrer que des New agers à vocation spirituelle et à vocation thérapeutique véhiculaient à l’instar de certains groupes religieux minoritaires principalement de type thérapeutiques hors pistes une idéologie gnostique. Ils ne bricolent pas avec la tradition et ce d’autant plus que la tradition qui n’est peut-être qu’une fausse notion sociologique. Ils se situent dans les rationalités différentes.

Au-delà de ces considérations il faut peut-être revenir à la notion d’institution. Celle-ci est à la fois un « institué » et son dépassement : « un instituant ». Les grandes Confessions et les « cults » en tant qu’institutions possèdent une dynamique sociale de changement.

Annexes

Exemple de correspondance dans l’ésotérisme.
File OOO1
File OOO2

 

01   Massimo Introvigne : Le New Age des origines à nos jours. Paris, Dervy, 2005.

02 Claude Rivière : Réactivations et interprétation de la magie, Religiologiques 18, automne 1998, PP.13-30.

03 On en trouve une présentation rapide dans l’ouvrage de Michel Meslin (ed) : La quête de guérison, Paris, Bayard , p. 358-361 qui reprend des éléments de notre contribution à  Massé R. et Benoist J. : Convocations thérapeutiques du sacré, Paris Karthala, 2002, Chap. 2..

04 Régis Dericquebourg : L’ésotérisme dans le message de G. Roux dit « Le Christ de Montfavet »,  colloque du Cesnur, ,7-9 juin 2007, Bordeaux (France), workshop : The globalization of esotericism, 1, June 7 2007, session . On the website of the Cesnur (French).

05 Régis Dericquebourg : L’alliance universelle, ouvrage en préparation.

06 Régis Dericquebourg : Esotericism and scientology, Workshop : Toward a sociology of esotericism, , STS 16, Friday, 7th , july 2007….) 29 ne conference of the SISR, July, 23-27, 2007. Leipzig.

07 Pour l’évhémérisme, voir Antoine Faivre : Accès à l’ésotérisme occidental, Paris, Gallimard , 1996,p.

08 Antoine Faivre : L’ésotérisme, Paris, P.U.F., p.13-21.

09 Jean-Pierre Laurant ; L’ésotérisme, Paris, Cerf, 1993.

10 Michel Quesnel : L’histoire des Evangiles, Paris, Cerf, 1987, p.86-94

11 Bart Ehrman : Les christianisme disparus, Paris, Bayard, 2007 (2003)

12 Nous avons profité du délai pour la rédaction de cette communication pour ajouter des mails reçus jusqu’en 2008 pour accroître notre échantillon.

13 Thierry Bécourt et Serge Pastor : Lumières pour la psychologie du Nouvel âge, Institut de psychanimie ed., 1993.

14 Danielle Hervieu Léger : La religion en miette ou la question des sectes, Paris, Calman-Levy, 2001, p.122-134.

15 Claude Lecouteux : Fées, sorcières et loups-garous au Moyen âge, Paris, Imago, 1992.

16 Georges Minois : Histoire de l’avenir. De la prophétie à la prospective. Paris, Fayard, 1996. cité par Marc-Antoine Berthod, in Doute, Croyances, divination, Lausanne,Antipodes, 2007.p.40 et 41.

17   Claude Lévi-strauss : La pensée sauvage, Paris, Plon, 1960. P. 27.

18 Jacques Derrida : La structure, le signe et le jeu dans le discours des sciences humaines. In L’Ecriture et la différance. Paris, Seuil, 1967, p. 409-429. OCR & Spellcheck : SK, Aerieus (ae-lib-org.ua), 2004.

19 La tradition n’est plus ce qu’elle était…, Terrain, n°9, Habiter la maison, octobre 1987, http//terrain.revue.org/document 3195. html)

20 cf Joseph Tamney : American Society in the Buddhist Mirror, New York, London, 1992.

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