CESNUR - Centro Studi sulle Nuove Religioni diretto da Massimo Introvigne
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The 2007 International Conference
June 7-9, 2007
Bordeaux, France
Globalization, Immigration, and Change in Religious Movements

Les derniers sectateurs russes du Sud-Caucase : des communautés religieuses en voie d’extinction

by Garik GALSTYAN (Université de Lille 3)

A paper presented at the 2007 International Conference, Bordeaux, France. Please do not reproduce or quote without the consent of the author.

 

Depuis toujours, le peuple russe a intégré le déplacement permanent dans son mode de vie. Cela permettait aux Russes de s’implanter dans le vaste Empire russe, auquel a succédé l’Union soviétique. Cette mobilité aisée de millions de personnes se basaient sur la psychologie et sur la « vieille habitude » russe de se déplacer facilement (liogki na nogou – « pied levé de l’homme russe »). C’était la condition « anthropologique »[1] de l’apparition des diasporas russes dans l’actuel étranger proche.

La migration aussi bien volontaire que forcée des populations russes vers les périphéries était une partie intégrante de la politique impériale de colonisation des nouveaux territoires conquis. Elle représentait une forme de migration intérieure pour des causes politique, économique ou religieuse.

1. La Transcaucasie : un terrain propice pour la colonisation paysanne

La présence des populations russes en Transcaucasie est un des héritages de l’époque impériale de son histoire. Elle remonte aux trois premières décennies du 19e siècle (1801-1828) pendant lesquelles les territoires actuels de la Géorgie (1801), de l’Azerbaïdjan (1805-1813) et de l’Arménie (1828) ont été rattachés à l’Empire russe. Ce dernier ne pouvait pas tolérer l’isolement des nouvelles terres incorporées. Pour y remédier, le gouvernement impérial élabore différents programmes de migration des populations russes aux nouveaux confins de l’Empire. La Transcaucasie devait, comme le constate en 1833 le Conseil d’Empire, « être rattachée à la Russie et ne plus constituer qu’un seul corps […] et sa population amenée à parler russe, penser russe et se sentir comme les Russes.

En avril 1830, I. Paskevitch[3] présente au tsar Nicolas 1er un projet concernant l’introduction en Transcaucasie du « mode russe de gouvernement »[4]. Ce projet prévoit, entre autres, la formation de colonies russes peuplées par des paysans déplacés des provinces centrales de l’Empire. Le premier ordre gouvernemental à cet effet est pris le 20 octobre de la même année. La majorité des arrivants est composée de chrétiens spirituels (sectateurs) : Molokanes, Doukhobors, Soubbotniks.

À cette étape, l’installation des colons a un caractère coercitif. Sous le règne de Nicolas 1er (1825-1855), le gouvernement impérial recommence les persécutions des sectateurs entamées par Catherine la Grande, qui s’étaient apaisées lors de la gouvernance d’Alexandre 1er[5]. Privés de passeports, ils se voient interdire de quitter leurs lieux d’habitation, de suivre leurs rites, de se réunir pour la prière et même d’être embauchés par les Russes orthodoxes[6]. En 1830, un oukase spécial du tsar interdit aux sectateurs de s’installer dans les provinces méridionales de la Russie, hormis la Transcaucasie, où l’installation volontaire, au contraire, est encouragée. Dans une certaine mesure, la politique du gouvernement tsariste coïncida avec les aspirations des populations sectaires de l’époque chez qui la légende du royaume d’Ararat, « plein de miel et de lait », était très répandue. Les sectateurs croyaient à la deuxième arrivée du Christ qui devait avoir lieu près du mont Ararat avec l’établissement d’un royaume de mille ans dont la voie ne serait ouverte qu’aux vrais croyants.

Le déplacement des sectateurs répond aux intérêts stratégiques du tsarisme dans cette région voisine à la Turquie. Dans un premier temps, le but principal de la migration russe est de renforcer la sécurité des nouvelles frontières extérieures. En cas de nécessité, l’Empire pouvait s’appuyer sur ces populations qui se distinguaient des peuples aborigènes par leurs langue, culture, origine ethnique ainsi que par leur mentalité. Les colons russes devaient également résoudre les problèmes liés au développement économique de la région afin de la faire entrer dans le système économique commun de l’Empire. Ceux qui se convertissaient à l’orthodoxie (très peu nombreux) pouvaient être exemptés pour 25 ans d’impôts ou rentrer en Russie. Les cas de conversions inverses (d’orthodoxes en Molokanes) sont toutefois plus nombreux[7].

Tout développement économique nécessitait des routes de communication sûres. C’est pourquoi les nouveaux villages russes sont créés tout le long des routes stratégiques et militaires liant Tiflis à Erevan, le Nord de l’Arménie à Elizavetpol et, plus tard, à la région de Kars rattachée à l’Empire. Avant la Première Guerre mondiale, les étrangers, passant par ces routes, pouvaient croire que la population principale de ces territoires était constituée de Russes[8].

75 % des premiers déplacés sur les terres arméniennes et azéries sont des Molokanes[9]. On rencontre également des Soubbotniks[10] et des baptistes. L’élément molokane de l’ethnie russe en Arménie est tellement fort[11] que la population locale identifiait les Russes aux Molokanes, employant indifféremment ces deux termes.

La majorité des Doukhobors[12], depuis 1841, s’est installé au sud-ouest de la Géorgie(district d’Akhalkalak en Djavakhétie) où ils ont créé une communauté fermée qui reçoit le nom de Doukhoborie avec pour comme centre le village de Gorelovka. Parmi les sectateurs, les Doukhobors s’implantent le plus isolément possible et n’exercent pas de prosélytisme. Ils préfèrent de coopérer avec les allogènes plutôt qu’avec les schismatiques des autres sectes[13] en dépit même du fait qu’au début, la population locale accepte mal leur arrivée.

En général, les conditions géographiques et climatiques de l’implantation des nouveaux villages ressemblent à celles des anciens lieux de résidence des sectateurs et sont propices aux activités agricoles. En 1832-33, au sud-est de l’Arménie est fondé Bazartchaï, le premier village des sectateurs russes en Transcaucasie. En 1844, la province compte 10 358 Russes : 8 618 vieux croyants et sectateurs, 1 740 paysans d’État et affranchis, les serfs. Cinq ans plus tard (1849), la population russe a doublée (19 341 personnes). Malgré les efforts de l’Empire, en 1873, le nombre de Russes n’est que 69 331 soit 2,29 % de la population totale de la région. V. Velitchko, l’historien russe de l’époque, relève avec une grande déception que la présence de la Russie en Transcaucasie ressemble plutôt à une occupation, et cela après presque cent ans de domination[14].

Après le rattachement de la région de Kars à l’Empire russe (1878), les Molokanes et les Doukhobors entreprennent son peuplement intensif. En peu de temps, les colons y fondent 24 colonies russes avec 13 775 habitants.

À mesure qu’une intégration économique se produit entre la métropole et les périphéries, se développe l’interaction socioculturelle entre les autochtones et les migrants russes. Parallèlement à l’adaptation aux nouvelles conditions de vie et à un entourage étranger, ces derniers exercent une influence économique et culturelle propice au développement de leurs régions d’accueil. Ils y diffusent l’usage de la herse, de la tarare, du chariot à quatre roues qui remplacent les arabas traditionnels, contribuent à l’amélioration des races de bétail, à la diversification de certaines cultures (pomme de terre, tournesol, chou, betterave). Grâce aux contacts avec les populations locales, les sectateurs commencent à s’investir intensément dans l’élevage et, dans une moindre mesure, dans l’artisanat. Ainsi, les rapports économiques contribuent largement à la stabilisation des relations entre les sectateurs et les populations locales.

Le fait que les migrants s’implantent par sectes entières composées de grandes familles avec une structure équilibrée d’âge et de sexe, permet aux sectateurs une installation en isolats autarciques qui gardent les capacités de se reproduire et de se développer dans ces conditions. Leurs villages représentent des foyers socioculturels russes uniques et des modèles d’adaptation de l’ethnie russe dans un entourage allogène.

Les populations sectaires ne sont pas toujours homogènes du point de vue ethnique. La plupart des villages sont peuplés aussi bien par les Russes que par les ethnies de l’espace russe. Parmi ces dernières, on rencontre plusieurs Ukrainiens, Mordves, Tchouvaches, Cosaques du Don, etc. On rencontre également des villages avec une population mixte où les Russes cohabitent avec des Tatars, des Arméniens et des Grecs.

À partir de la fin du 19e siècle, la politique d’immigration des Russes connaît des changements significatifs. Les intérêts économiques liés au cap mis sur le développement agraire passent au premier plan. Selon la Loi de 1899, l’installation en Transcaucasie des sectateurs ainsi que des personnes n’ayant pas d’origines russes est interdite. Le refus d’accomplir le service militaire, devenu au Caucase obligatoire depuis 1886, fut la cause des persécutions à l’encontre des sectateurs. Plusieurs milliers de Doukhobors et Molokanes commencent à quitter la région pour le Canada, l’Amérique, le Mexique, la Palestine, la Mandchourie, la Turquie, Chypre, l’Argentine, parce qu’ils sont appelés de force sous les drapeaux ou sont déportés par le tsar. Une loi spéciale prévoit : « Aux sectateurs faisant leur service militaire, s’ils ne convertissent pas à l’orthodoxie, ne se verront pas accorder de congés et ne seront pas démobilisés du tout »[15]. Dans ces conditions, une partie des sectateurs se convertit à l’orthodoxie et rentre en Russie[16].

Pendant cette période, les scissions internes sociales et religieuses divisent le molokanisme en plusieurs courants. Ceux qui restent fidèles à la doctrine initiale commencent à s’appeler Postoïannye (permanents). En Arménie et en Azerbaïdjan, on rencontre également les Molokanes prygounes (sauteurs)[17]. La différence basique entre Postoïannye et Prygounes est que les premiers se laissent guider par le Nouveau testament, tandis que les deuxièmes se réfèrent au Vieux testament et se considèrent comme de « vrais chrétiens spirituels ».

La division interne des Doukhobors de Géorgie et de la région de Kars constitue une autre raison de leur départ massif vers le continent américain[18]. Le célèbre écrivain russe Léon Tolstoï, initialement défavorable au déplacement des sectateurs au Canada, prend leur cause et organise une collecte pour les aider. En ajoutant à la somme collectée une partie des honoraires de son livre Résurrection, il affrète quatre bateaux en Géorgie qui transportent 7 500 Doukhobors au Canada[19] dont 3 300 de Géorgie, 3 100 de la région de Kars et 1 100 de l’Azerbaïdjan[20]. Au Canada, les Doukhobors créent 44 villages dans la province de Saskatchewan[21]. De 1901 à 1911, 3 500 Prygounes, essentiellement des provinces d’Erevan et de Kars, émigrent en Californie[22]. En Doukhoborie, L. Tolstoï fait également construire une école et un orphelinat.

Malgré les persécutions, les sectateurs se distinguent par leur loyalisme vis-à-vis du tsar. Ils le respectent (en tant que tsar et non pas Otets (Dieu) comme le vénéraient les orthodoxes), payent correctement les impôts et reconnaissent également l’origine divine des pouvoirs. Pendant les événements cruciaux de l’histoire russe, les Molokanes de Transcaucasie se rangent souvent aux côtés du tsarisme. En 1914, ils ont écrit à ce propos au gouverneur : « Nous demandons à votre Majesté d’octroyer aux meilleurs de nos fils, après leurs études supérieures, le droit de combattre dans l’armée aux grades d’officiers »[23].

Par rapport aux populations locales, les sectateurs jouissent de certains privilèges. Les meilleures terres qui, en principe, devraient être distribuées aux autochtones, sont confiées aux colons russes. Par ces mesures, le gouvernement impérial aggrave encore le problème de la pénurie de terres arables qui était déjà critique. Cf : avant 1920, les Doukhobors ne constituent que 16 % de la population du district d’Akhalkalak, mais possèdent 35 % des terres cultivées. Une attention particulière est accordée à l’instruction des sectateurs : en moyenne une école pour mille résidents russes. 29 % des sectateurs savent lire et écrire contre seulement 1,5 % des Arméniens[24]. Au total, en 1905, 49 écoles russes fonctionnaient dans les villages sectaires de Transcaucasie pour 2 562 élèves[25].

Au début du 20e siècle, la migration paysanne porte principalement un caractère économique et est étroitement liée à la réforme agraire en Russie entreprise par P. Stolypine (1905-1907)[26]. C’est la première fois que l’Empire planifie la création de vastes zones de peuplement exclusivement russe dans la steppe de Moughan au sud-est de l’Azerbaïdjan. De 1902 à 1917, les Russes y fondent 55 villages, dont 11 de sectateurs, comptant 21 094 habitants soit plus de 40 % de la population locale[27]. Au total, à la charnière des deux siècles, plus d’une centaine de villages russes, essentiellement orthodoxes, sont créés sur le territoire de l’Azerbaïdjan qui abrite l’essentiel de la population rurale russe de la Transcaucasie. À la veille de 1914, le poids démographique des paysans russes est considérable : 10 % de la population et dans certaines régions jusqu’à même 20 %.

Selon les statistiques impériales de 1909, certes, infériorisées, le nombre de Molokanes de Transcaucasie atteint 21 300 soit un quart des 91 500 de tout l’Empire[28]. En 1905, à l’occasion des 100 ans de la légalisation de la croyance molokane, c’est à Vorontsovka (Arménie) qu’a lieu le Congrès panrusse des chrétiens spirituels Molokanes, qui réunit les représentants de cette secte des différentes régions de l’Empire.

En fin de compte, les efforts de l’Empire de peuplement intensif des territoires transcaucasiens par les sectateurs ne sont pas couronnés de succès. L’afflux des migrants reste modeste. En outre, les sectateurs ne sont pas devenus un soutien fiable pour l’Empire et ne se sont pas convertis massivement à l’orthodoxie. Après l’échec de la Première révolution russe (1905-1907), les sectes cessent de croître avec l’arrêt du flux de nouveaux arrivants. 

2. Le sort des communes des sectateurs sous le régime soviétique

Les bouleversements politiques et les guerres des premières décennies du 20e siècle contraignent un certain nombre de Russes à regagner la métropole. Cette vague d’émigration touche, en majorité, les derniers arrivés. Les populations sectaires en sont préservées. Au début des années 1920, pour peupler les steppes Salski, le gouvernement soviétique organise le déplacement d’une partie des villageois russes de Transcaucasie. En conséquence, plusieurs villages sont désertés, les maisons abandonnées. La population rurale de Transcaucasie passe de 157 400 (1921) à 84 800 (1926) : l’Azerbaïdjan perd 54 % de sa population rurale russe, la Géorgie – 48 %, tandis que l’Arménie enregistre 98 % d’augmentation due sans doute à la migration des Russes de la région de Kars avant qu’elle devienne turque[29].

Après la Révolution d’Octobre, le pouvoir soviétique déploie une campagne contre la dévotion et le mode de vie traditionnel des sectateurs. En général, les populations sectaires acceptent mal les mesures du pouvoir soviétique : service militaire obligatoire, redistribution des terres, collectivisation, campagne contre l’illettrisme et la pratique religieuse, etc. Leurs communes prospèrent jusqu’aux années 1930, périodede la fameuse dékoulakisation. La faillite de plusieurs exploitations pousse alors des paysans à la migration intérieure vers les villes.Sous le régime soviétique, grâce aux spécificités de leur croyance, les sectateurs réussissent mieux que les Russes orthodoxes à préserver leur identité religieuse. Une fois les églises orthodoxes fermées, les fidèles se sont trouvés privés de la possibilité de se réunir, tandis que les sectateurs n’ont jamais cessé d’organiser leurs réunions de prières.

Dans les années 1920-1930, parmi les Prygounes, se distingue un groupe de croyants appelé maximistes (du nom de l’idéologue de ce courant Maxime Roudometkine) dont l’objectif est la préservation de la « vraie » foi des Prygounes. Bons travailleurs, ils s’abstiennent de travaux sociaux, prennent leurs distances vis-à-vis des Soviets, des syndicats et renoncent aux allocations d’État. Dans la même optique, ils interdisent à leurs enfants d’adhérer aux organisations des pionniers et des jeunes communistes et de fréquenter des salles de lecture. Les maximistes s’abstiennent même de contacts avec d’autres courants molokanes[30]. L’organisation quasi autarcique de leur mode de vie retiré, l’extrême dévotion et la fidélité aux traditions et aux rites ont permis aux Prygounes de préserver, jusqu’à nos jours, leur identité d’origine. Si, de nos jours, en Arménie il reste deux villages rescapés russes sur 23 à l’origine (dont 6 orthodoxes et 17 sectateurs), c’est grâce à la présence des communautés prygounes.

Au lendemain de sa soviétisation (1921), l’Azerbaïdjan compte environ 80 villages russes(42 000 habitants soit 3 % de la population rurale[31]) dont 30 sectateurs avec 30 000 d’habitants. Les 50 villages orthodoxes ne cumulent, quant à eux, que 12 000 habitants>[32].

En 1930, les villages doukhobors de Géorgie se trouvent réunis dans le district de Bogdanovka après le changement de la composition administrative de celui d’Akhalkalak entrepris par les autorités géorgiennes pour mieux gérer les localités des sectateurs. Le mode de vie de ces derniers commence à changer sous les répressions sévères. C’est seulement en 1937 que l’essentiel de la population active adhère aux kolkhozes[33].

Pendant la période soviétique, la baisse progressive du nombre de paysans russes constitue une des particularités démographiques des Républiques transcaucasiennes sur fond d’augmentation considérable de la population rurale en général. De multiples problèmes économiques, politiques, culturels, sociaux et psychologiques sont à l’origine de ce déclin. En conséquence, il se produit un dépeuplement progressif et la disparition définitive de certains îlots russes.

Le faible niveau de développement de l’infrastructure sociale dans les régions traditionnellement peuplées par les Russes, l’absence de promotion professionnelle et le processus global d’urbanisation causent le dépeuplement des villages russes de leurs habitants d’origine. On observe un afflux des villageois vers les villes en forte demande de main d’œuvre. Cependant, dans les années 1970, les autorités soviétiques introduisent des restrictions administratives, afin de limiter l’augmentation de la population des grandes villes. Dès lors, la direction de la migration des villageois russes, notamment des jeunes, change de cap et se dirige en dehors de ces républiques.

Ainsi, la diminution du nombre d’actifs amène au déclin démographique et au vieillissement de la population russe de la campagne. S’y ajoute l’afflux massif des peuples autochtones venus de localités voisines surpeuplées. Leur installation dans les villages auparavant purement russes et le taux élevé de leur croissance démographique aboutissent à la détérioration des rapports interethniques poussant les paysans russes, désormais minoritaires, à quitter les terres qu’ils occupaient depuis plus d’un siècle[34].

La population rurale russe de Transcaucasie (1959-1979)

 

Républiques

Population rurale russe

Pertes

 

1959

dont sectateurs

1979

dont sectateurs

1979

Arménie

16 900* (16 400)**

7 400 (43,8 %)

6 000 (12 300)

3 000 (50,0 %)

64,5 %

Azerbaïdjan

60 600 (61 900)

25 700 (42,4 %)

19 700 (28 200)

18 500 (92 %)

66,8 %

Géorgie

59 800 (85 300)

8 900 (14,9 %)

15 700 (56 100)

7 200 (45,9 %)

73,7 %

Total

137 300 (163 600)

42 000 (30,6 %)

41 400 (96 600)

28 700 (69,4 %)

69,8 %

* Selon les études de terrain. ** Selon les données officielles

D’après : L. MAKAROVA, G. MOROZOVA, N. TARASOVA, Regional’nye osobennosti migracionnyx processov v SSSR [Les Particularités régionales des processus migratoires dans l’URSS], Naouka, Moscou, 1986, p. 94 ; V. KOZLOV, Russkie starožily Zakavkaz’ja : molokane i duxoborcy [Les anciens habitants russes de Transcaucasie : les Molokanes et les Doukhobors], Académie des Sciences de Russie, Moscou, 1995, pp. 132 ; 139-141.

En 20 ans (1959-1979), leur nombre dans les campagnes arméniennes passe de 16 900 à 6 000 (dont 3 000 sectateurs), soit 64,5% de baisse. Pour l’Azerbaïdjan et la Géorgie, ces chiffres sont respectivement de 60 600 à 20 100 (dont 18 500 sectateurs) soit 66,8 % de baisse, et de 59 800 à 15 700 (dont 7 200 sectateurs) soit 73,7 % de baisse.

3. Le destin des sectateurs du Sud-Caucase après la dissolution de l’URSS sur fond d’une dérussification en voie d’achèvement

 On peut parler d’exode massif[35] des populations russes (sectateurs compris) du Caucase du Sud dès la fin de la perestroïka. À partir de 1988, le flux migratoire devient progressif et quasi-permanent. L’exode est conditionné par des raisons ethnopolitiques, socioéconomiques, culturelles et psychologiques. La perte du statut de peuple dominant, la politique nationaliste des autorités locales, l’euphorie des indépendances, l’objectif de construire des États-nations sont à l’origine de la montée d’un nationalisme extrême dans la région qui crée chez les populations russes une atmosphère d’inquiétude et d’incertitude.

 

L’émigration des populations russes du Sud-Caucase (1989-2002)

Pays

1989

dont

sectateurs

part dans la population totale, %

1999-2002

Solde migratoire

(1999-2002)

Pertes

en %

Arménie

51 600

4 500

1,5

9 900

- 41 700

81 %

Azerbaïdjan

392 300

6 000

5,6

141 700

- 250 600

64 %

Géorgie

341 200

2 000

6,3

67 700

- 273 500

80 %

Total

785 100

12 500

 

219 300

- 565 800

72 %

Sources : Synthèse des données issues du dernier recensement soviétique (1989) et des recensements nationaux en Azerbaïdjan (1999), en Arménie (2001) et en Géorgie (2002). Le dernier recensement en Géorgie n’a pas pris en compte les populations d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud.

 

Le conflit armé arméno-azéri sur le dossier du Haut-Karabakh et l’implication de l’armée soviétique au profit tantôt de l’Arménie tantôt de l’Azerbaïdjan contribuent à l’éveil d’une russophobie inédite dans la région créant ainsi pour les Russes un climat psychologique très défavorable pour leur avenir dans ces deux républiques voisines. La guerre frontalière arméno-azérie (1992-1994) touche particulièrement les districts septentrionaux de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan distinguées par une forte concentration de Molokanes. En 1993, une partie des Molokanes du district arménien de Tchambarak est rapatriée sous le statut de réfugié en Russie avec l’aide de Moscou[36]. Si avant 1989, le district comptait environ 3 000 Molokanes, actuellement, il n’en reste que 40, pour la plupart des retraités.

Les jeunes russes et russophones étaient particulièrement inquiets de se voir appelés sous les drapeaux et impliqués directement dans le conflit arméno-azéri. L’ambassade de Russie en Arménie a pu s’accorder avec le gouvernement arménien sur la mobilisation des recrues russes désormais citoyens de Russie mais habitant en Arménie, ainsi que des jeunes Molokanes des villages qui n’avaient pas encore la feuille intercalaire dans leurs passeports soviétiques prouvant leur nouvelle citoyenneté russe[37].

Le terrible séisme en Arménie (décembre 1988) a frappé des régions de peuplement russe traditionnel. En raison de la lenteur des travaux de reconstruction des logements et des infrastructures, un nombre considérable de Russes choisit l’émigration temporaire qui deviendra bientôt définitive. Dans la région de Tachir, sur 12 500 Russes, il n’en reste plus que 400[38].

La plus dure épreuve pour les populations russes a consisté dans l’intégration et l’adaptation psychologique et socioculturelle aux nouveaux pouvoirs, notamment après avoir vu passer leur position d’ethnie dominante à celle de minorité en à peine quelques ans. Un des résultats de la crise économique et des politiques nationales des cadres basées sur la préférence nationale a été la baisse catastrophique du niveau de vie des populations minoritaires dont les Russes.

Selon les aménagements linguistiques entrepris par les pouvoirs nationaux, les langues des peuples titulaires sont juridiquement choisies en tant que seules langues officielles des États nouvellement constitués. De ce fait, le statut du russe, aussi bien juridique que social, est revisité à son détriment. Fruit de décisions purement politiques, les nouvelles lois ont sensiblement restreint les domaines d’utilisation du russe dans le circuit de diffusion de l’information et des médias. Décider de rester, signifie pour les Russes de choisir le bilinguisme et plus largement le biculturalisme tout en restant sous la menace éventuelle d’une assimilation culturelle « forcée ». Ceux qui émigrent, rejettent les perspectives de cette nouvelle identification quoique un certain nombre d’entre eux fussent bilingues et biculturels. Ce sont la crise économique, l’absence de possibilité d’obtenir la double citoyenneté et le fait de se voir éloignés voire coupés de leur patrie historique et de leurs proches qui les ont poussés à l’émigration.

L’exode massif des Doukhobors de Géorgie commence après l’arrivée au pouvoir du président nationaliste Z.Gamsakhourdia. Pendant cette période, le Fond géorgien Merab Kostava s’occupe activement du rachat des maisons des Doukhobors afin de les attribuer aux Géorgiens, notamment aux Adjars[39]. Un des objectifs de l’ex-président géorgien était de créer une zone tampon entre la Géorgie et l’Arménie. Parallèlement, le Fond arménien Parvana déploie le même type d’activité[40]. Suite à la division interne des Doukhobors, trois vagues de migration touchent gravement la communauté. Lors des réunions générales, ils décident de regagner leur patrie historique en choisissant les régions de Toula (1991, village Arkhanguelskoë), de Briansk (1998, cité de Mirny) et de Tambov (2007, village Malyï Snejetok). Ces mouvements de rapatriement ont été parrainés par le gouvernement russe et les autorités des nouveaux lieux d’accueil.

Ainsi, à l’heure actuelle, la quasi-totalité des villages doukhobors en Djavakhétie sont abandonnés ou vidés de leurs habitants autochtones. Des 7 500 Doukhobors d’avant la chute de l’URSS, il ne reste qu’environ 600 personnes. La coopérative agricole Doukhoborets de Gorelovka, le dernier village doukhobor de Géorgie mais avec une population désormais mixte (504 Doukhobors, 551 Arméniens et 17 Géorgiens) est l’unique exploitation traditionnelle qui s’organise selon ses lois internes et est indépendante des autorités locales qui ne peuvent pas imposer le choix du dirigeant ou faire entrer des Arméniens dans la coopérative. L’école russe du village n’a que 67 élèves, tandis que l’école arménienne – 160 (2006). Environ 90 Doukhobors vivent actuellement dans la capitale géorgienne. Les communes des Molokanes géorgiens sont pratiquement toutes démantelées.

Peu avant la dissolution de l’URSS (1987), les sectateurs d’Azerbaïdjan restaient regroupés dans 20 villages. Seulement 7, auparavant mononationaux, avait encore une population russe de 21 à 90 % et se trouvaient dans une situation démographique plus ou moins favorable pour la reproduction[41]. Géographiquement, ces villages sont situés au nord-est (districts d’Ismaili et de Chemakha), au sud-est (district de Djalilabad et Massali) et à l’ouest (district de Guédabek). Les Doukhobors azerbaïdjanais restaient regroupés dans le village de Slavianka où la commune sectaire a été définitivement démantelée.

15 ans plus tard, le village d’Ivanovka reste le seul rescapé des villages molokanes d’Azerbaïdjan. Les autres anciens villages russes sont pratiquement dépeuplés de leurs habitants originaires. En 1999, la commune molokane du village de Khilmili (250 familles), baptisé auparavant « Sion des Molokanes », crée un groupe d’actifs afin de réaliser une émigration organisée dans la région de Toula (Russie) avec le concours financier des autorités locales qui, par le biais de cette migration, tentent de faire renaître le village russe[42].

Ivanovka est le seul endroit en Azerbaïdjan où existe encore un kolkhoze. La mairie de Moscou a financé l’ouverture d’une entreprise agricole dans ce village dont la production est exportée à Bakou. Malgré le fait que depuis 1991, environ 600 Molokanes ont quitté le village[43], ce dernier reste encore majoritairement composé de sectateurs dont la moitié sont retraités : 2 500 contre 450 Lezguiens et 180 Azéris.

De nos jours, la communauté russe d’Arménie ne compte plus que 9 000 personnes dont environ 50 % sont des descendants de sectateurs, concentrés dans seulement deux villages contre 17 au début du siècle passé. Lermontovo réunit 750 Molokanes qui représentent 80 % de la population de cette localité et Fialétovo – 1 500 Molokanes soit 99 %. La densité de la population sectaire, sa composition traditionnelle, l’endogamie[44] ainsi que le processus de privatisation ont joué un rôle positif dans le maintien des populations sectaires dans ces deux villages. Le Fonds d’aide et d’assistance aux compatriotes russes dans la République d’Arménie a présenté un programme spécial aux instances compétentes de la Fédération de Russie afin de préserver sur le sol arménien ces derniers îlots russes[45].

Avant 1989, 25 familles azéries résidaient également à Fialétovo. Après leur départ, les autorités du village limitent officieusement l’enregistrement des non Molokanes. En conséquence, il ne compte actuellement que 3 familles arméniennes. Trois communautés molokanes sont présentes à Fialétovo : les Postoïannye, les Prygounes et les Maximistes. Les fidèles fréquentent différentes maisons de prière[46]. De nos jours, presque tous les Prygounes du Sud-Caucase sont concentrés en Arménie.

Ces deux villages abritent les deux dernières écoles russes de la campagne arménienne. Les promus ont la possibilité de continuer leurs études (hors concours) dans les établissements supérieurs de la Russie, mais il y a très peu de volontaires. Les manuels scolaires sont livrés par l’ambassade de Russie, car en Arménie on n’édite plus les manuels russes. En même temps, le niveau de l’enseignement s’est beaucoup dégradé. Les parents, en manque de perspectives liées aux études, retirent souvent leurs enfants de l’école pour les faire travailler dans les champs afin de cultiver les parcelles que chaque famille a reçu après la privatisation des terres[47]. En effet, les Molokanes sont opposés à l’école. À Fialétovo, il n’y a aucun diplômé d’études supérieures. Les professeurs (hormis deux) sont des Arméniens des localités voisines.

Environ 2 000 Molokanes résident aujourd’hui dans la capitale arménienne. Malgré les difficultés existantes, on constate que parmi les Russes, ils sont les mieux adaptés aux conditions locales. Cela s’explique par le statut inférieur et par les espérances sociales non élevées des sectateurs, ce qui exclue pratiquement toute concurrence avec les Arméniens[48]. Les Molokanes citadins sont essentiellement impliqués dans le bâtiment et dans les travaux plutôt non qualifiés du service public.Ajoutons également que les Molokanes d’Arménie refusent de faire enregistrer officiellement leur communauté religieuse[49], tandis qu’en Azerbaïdjan ils en ont enregistré 11[50].

Parallèlement à l’afflux migratoire, il existe également une autre sorte d’émigration dite « saisonnière » qui peut durer entre quelques mois et quelques années. Ce sont des « groupes de travail organisés » composés d’au moins d’un membre des familles restantes. Ils quittent le pays principalement pour la Russie dans le but de travailler. Grâce aux transferts d’argent, leurs familles peuvent continuer à vivre en Arménie. En général, ces gens restent enregistrés dans leurs lieux d’habitation et sont considérés comme étant « absents temporairement ». La pratique montre que les travailleurs temporaires essayent de s’ancrer et de s’installer dans les nouveaux lieux, ensuite ils appellent leurs familles.

Selon les statistiques, après avoir vendu leurs biens mobiliers et immobiliers à vil prix et avoir quitté les villages sud-caucasiens, les familles rurales russes s’installent principalement dans la campagne russe, à savoir les territoires de Krasnodar et de Stavropol, et les régions centrales des terres noires (notamment de Rostov, Toula et Briansk). Les sectateurs cherchent à s’implanter dans les endroits où ils peuvent continuer et développer les relations traditionnelles familiales et de voisinage. Leur nombre élevé permet de déployer des activités religieuses dans les nouveaux lieux d’habitation.

L’émigration a gravement affecté le renouvellement naturel de la population rurale russe du Sud-Caucase. Cette baisse s’explique par le fait que les jeunes Russes, la partie la plus mobile et active de la population, avaient déjà massivement quitté les pays en question. À l’heure actuelle, la cellule familiale des villageois russes se réduit bien souvent à deux membres, des personnes âgées généralement qui ne veulent plus bouger ou ne disposent pas de moyens suffisants pour l’émigration. Le vieillissement du village russe mène inévitablement à sa disparition. Les villages molokanes d’Ivanovka (Azerbaïdjan), de Fialétovo et de Lermontovo (Arménie) font exception. Les familles de Fialétovo comptent encore une moyenne de 4,4 membres.

Le mode de vie isolée a permis aux sectateurs de conserver et de développer certaines traditions folkloriques russes, notamment les styles de chant (lyrique, funéraire, nuptial, de ronde, de jeu, etc.) exécuté par la fameuse polyphonie molokane ou doukhobor. La particularité des chants est leur exécution par syllabes qui est difficile à interpréter sans être préparé et qui exige beaucoup d’entraînement. Cependant, à cause de l’émigration, on peut également constater la disparition de plusieurs fêtes nationales et familiales, de rites sectaires célèbres pour leur pittoresque.

Dans leur majorité, les Molokanes ont réussi à garder leur mentalité communautaire. Ils sont restés fidèles à leurs vieilles traditions et habitudes apportées de la Russie il y a deux siècles. Les hommes portent encore souvent de longues barbes en signe de foi, tandis que les femmes – des foulards blancs traditionnels. Certaines maisons ressemblent encore aux izbas traditionnelles russes qui abritent plusieurs générations sous le même toit.

On connaît des cas d’intégration avancée de certains Molokanes qui prennent leurs distances vis-à-vis des sectes sans forcément perdre complètement leur conscience identitaire[51]. Il s’agit notamment des Molokanes diplômés des écoles supérieures ou mariés avec les non Molokanes.

Conclusion

Les premiers villages des sectateurs russes (Molokanes, Doukhobors et Soubbotniks) au Sud-Caucase apparaissent dans les années 1830-40. Par le biais de la migration des Russes et de certains autres peuples de l’espace russe, l’Empire russe désirait résoudre le problème de l’intégration des nouveaux territoires conquis et leur russification progressive. Ces populations étaient censées véhiculer la politique impériale dans les périphéries sur lesquelles il pouvait compter et s’appuyer pour la réalisation de différents programmes. En fin de compte, les sectateurs ne sont pas devenus le soutien fiable de l’Empire.

Sous le régime soviétique, l’immigration des populations sectaires s’arrête, leurs communes commencent à diminuer à cause de l’urbanisation et de la dégradation des relations interethniques qui déclenche un processus de rapatriement.

Suite aux changements géopolitiques liés au démantèlement de l’URSS, la trajectoire séculaire de migration des Russes vers les périphéries change définitivement son cap établi depuis plusieurs siècles. Étant centrifuge, elle devient centripète pour revenir vers l’ancienne métropole en mal démographique. Les populations russes, sectateurs compris, se retrouvent face à des alternatives difficiles entre adaptation/intégration aux sociétés nationales et regroupement dans des « îlots nationaux » ou émigration. L’émigration, la décroissance naturelle et l’assimilation constituent les trois causes principales du dépeuplement russe du Caucase du Sud. Les émigrants qui rentrent en Russie ne donnent pas une image positive de ces pays à l’opinion publique russe. Influencée, celle-ci est de plus en plus encline à adopter l’idée que la Russie et les Russes doivent quitter cette région.

De nos jours, en Arménie et en Azerbaïdjan seules quelques communes molokanes prospèrent encore et essayent de garder leurs vieilles traditions et les spécificités de leur croyance. L’exode des Doukhobors de la Géorgie est définitif et n’est qu’une question de temps. Les seuls témoignages du passage de ces populations demeureront les noms slaves de certaines localités.



[1] A. PANARIN, Rossija v civilizacionnom processe (meždu atlantizmom i evrazijstvom) [La Russie dans le processus civilisationnel (entre l’atlantisme et l’eurasisme)], Académie des Sciences de Russie, Moscou, 1994, p. 143.

[2] Cité par A. KAPPELER, La Russie. Empire multiethnique, Institut des Études Slaves, Paris, 1994, p. 154.

[3] Maréchal russe (1782-1856), le gouverneur du Caucase (1827-1830).

[4] G. GALOJAN, Rossija i narody Zakavkaz’ja [La Russie et les peuples de Transcaucasie], Mysl’, Moscou, 1976, p. 190.

[5] Le 22 juillet 1805, le tsar signe le Manifeste faisant grâce aux Molokanes et aux Doukhobors en leurs octroyant une liberté de conscience et le droit de réaliser leurs rites religieux.

[6] I. SEMËNOV, « Molokane Armenii » [« Les Molokans d’Arménie »], in A. KOSJAN, N. OGANESJAN, V. ČATOEV (eds), Nacional’nosti Armenii [Les nationalités d’Arménie], Gitutjun, Erevan, 1998, pp. 78-89.

[7] A. HAÏTIAN, Les colons russes d’Arménie, Éditions de l’Université d’Erevan, Erevan, 1989, p. 114 (en arménien). V. KOZLOV, Russkie starožily Zakavkaz’ja : molokane i duxoborcy [Les anciens habitants russes de Transcaucasie : les Molokanes et les Doukhobors], Académie des sciences de Russie, Moscou, 1995, pp. 32, 41 et 42.

[8] A. HAÏTIAN, Les colons russes d’Arménie, op. cit., p. 46.

[9] Les adeptes de la secte buvaient du lait les jours de jeûne (mercredi et vendredi) d’où vient l’auto-identification des Molokanes (moloko en russe signifie lait). Les aïeuls des Molokanes sont issus de la paysannerie russe et de certains autres peuples des régions centrales de la Russie (Tambov, Voronej, Saratov, Penza, Riazan, Ekaterinoslav, Kharkov, Tauride) ainsi que de la région volgienne (Samara, Astrakhan). La secte est apparue au début du 18e siècle. À l’origine, les Molokanes appartenaient à l’église gréco-russe, mais refusaient l’adoration des icônes, des statues, des croix en bois ou en pierre sorties de l’imaginaire des artistes. La secte prônait la réforme des préceptes établis par l’Eglise orthodoxe russe. Il s’agit notamment de la possibilité d’entrer en contact direct avec Dieu, sans intermédiaire de l’église et du clergé. La source de la foi chrétienne est la Bible qui est ouverte sur la table de chaque maison molokane. L’office religieux est réduit à la lecture des textes bibliques et aux chants des psaumes lors des réunions du soir dans des locaux ordinaires. Leur détermination à revenir aux valeurs bibliques fondamentales les rapproche des protestants d’Europe occidentale ou encore des Amishs d’Amérique.

[10] La secte des Soubbotniks s’est formée dans les régions centrales de la Russie à la charnière des 17e et 18e siècles. Les Soubbotniks célèbrent le samedi qui est à l’origine de leur nom. Ils reconnaissent l’Ancien testament et sont proches de la religion juive. Ils rejettent également les idoles et les icônes. Leur plus grande commune était le village d’Elenovka en Arménie. Cependant, à cause de leur absence de prosélytisme, cette secte n’a pas connu de développement chez les colons russes.

[11] 87,4 % des sectateurs contre 11,6 % des Soubbotniks et 1 % des baptistes. – I. DOLŽENKO, « Russkie Armenii » [« Les Russes d’Arménie »], in Revue en ligne Kul’turnoe raznoobrazie Armenii [Diversité culturelle de l’Arménie] (http://www.cultural-diversity.am).

[12] La secte des Doukhobors (lutteurs de l’esprit), s’est constituée dans la seconde moitié du 18e siècle chez les paysans d’État de la province de Voronej. Les Doukhobors rejettent le clergé, les temples, les icônes, les jeûnes, le monachisme. Pour eux, Dieu et la Trinité sont identiques : « Un seul Dieu en trois personnes : Dieu le père est la mémoire, Dieu le fils – l’esprit, Dieu le st. Esprit – la volonté » (V. VEREŠČAGIN, Doxoborcy i Molokane v Zakavkaz’e [Les Doukhobors et les Molokanes en Transcaucasie], Kušnarëv i K°, Moscou, 1900, p. 6). À la différence des Molokanes, ils ne reconnaissent pas les Saintes Écritures, car elles sont écrites par l’homme, donc, ne sont pas parfaites. Ils s’inspirent des Psaumes de David, acceptent les dix commandements et nient le paradis et l’enfer. La source de leur croyance est le Livre vivant composé des résumés des psaumes de la Bible, de l’Evangile ou des prophètes, c’est-à-dire les histoires transmises de bouche à oreille. Les psaumes se composent de questions et de réponses, de vers courts, de préceptes et de bannissements.

[13] D. ISMAIL-ZADE, Russkoe krest’janstvo v Zakavkaz’e. 30-e gody XIX – načalo XX v. [La Paysannerie russe en Transcaucasie. Années 30 du XIX – début du XX siècles], Nauka, Moscou, 1982, p. 61.

[14] Selon V. Velitchko, l’Empire russe n’avait pas de colonies et tous les territoires conquis n’étaient que des périphéries. Cependant, les périphéries, à la différence des colonies ou des territoires occupés, supposaient une présence importante du « peuple principal », ce qui n’était pas le cas de la Transcaucasie. – V. VELIČKO, Kavkaz. Russkoe delo i mežduplemennye voprosy [Le Caucase. L’affaire russe et les questions intertribales], FERI-V, Moscou, 2003, pp. 175-176.

[15] Cité par A. HAÏTIAN, Les colons russes d’Arménie, op. cit., p. 120.

[16] V. VEREŠČAGIN, Doxoborcy i Molokane … [Les Doukhobors et les Molokanes …], op. cit., p. 4.

[17] La particularité de ce courant est la présence d’un ou deux « prophètes » qui, dans l’extase religieux, sautent et « entrent en contact » avec le Saint esprit afin de transmettre aux fidèles les « pensées divines ».

[18] En 1886 est morte le leader spirituel des Doukhobors de Transcaucasie Loukéria Kalmykova sans laisser de descendants. La lutte pour le « trône » s’achève par la division de la communauté religieuse en deux camps. Les Doukhobors plus ou moins aisés au nombre de 2 000 s’opposent au reste de la communauté. Les autorités tsaristes prennent naturellement la cause des premiers. Dans ces conditions, les Doukhobors « pauvres » décident d’émigrer. – A. HAÏTIAN, Les colons russes d’Arménie, op. cit., p. 119.

[19] N. KOZLOVA, « Dolgaja doroga k domu » [« Un long chemin de retour »], Rossijskaja gazeta, n° 302, 1994.

[20] D. ISMAIL-ZADE, Russkoe krest’janstvo … [La Paysannerie russe …], op. cit., p. 128.

[21] N. SOMIN, « Duxobory » [« Les Doukhobors »], site Xristianskji socializm kak russkaja ideja [Le socialisme chrétien comme une idée russe], http://chri-soc.narod.ru/duhobor.html.

[22] A. HAÏTIAN, Les colons russes d’Arménie, op. cit., p. 124.

[23] V. DRUŽININ, Molokane [Les Molokanes], Priboj, Leningrad, 1930, pp. 10-14.

[24] A. HAÏTIAN., Les colons russes d’Arménie, op. cit., pp. 112 et 113.

[25] I. SEMËNOV, « Molokane Armenii » [« Les Molokanes d’Arménie »], art. cit., p. 85.

[26] Le Premier ministre russe, P. Stolypine, fait adopter le 9 novembre 1906 un décret qui instaure la propriété privée rurale en donnant aux paysans la possibilité d’acquérir les lots de terres à crédit.

[27] D. ISMAIL-ZADE, Russkoe krest’janstvo … [La Paysannerie russe …], op. cit., pp. 241; 289-303.

[28] Les régions centrales – 13 400, la région volgienne – 28 400, l’Extrême-Orient – 28 400. – A. KLIBANOV, Istorija religioznogo sektantstva v Rossii [L’histoire du sectarisme religieux en Russie], Nauka, Moscou, 1965, p. 147.

[29] V. KOZLOV, Russkie starožily … [Les anciens habitants russes …], op. cit., pp. 132 et 133.

[30] K. KOZLOVA, « Iz opyta izučenija Molokan Armenii » [« De l’expérience d’études sur les Molokanes d’Arménie »], in Konkretnye issledovanija sovremennyx verovanij [Les recherches de terrain sur les croyances contemporaines], Mysl’, Moscou, 1967, pp. 119-128.

[31] D. ISMAIL-ZADE, Russkoe krest’janstvo ... [La Paysannerie russe ...], op. cit., p. 262.

[32] O. KOMAROVA, « Demografičeskaja xarakteristika russkix selenij v Azerbajdžane » [« Les caractéristiques démographiques des villages russes d’Azerbaïdjan »], in Russkie starožily Azerbajdžana. Materialy po ètničeskoj èkologii. Čast’ I [Les anciens habitants russes de l’Azerbaïdjan. Études sur l’écologie ethnique. Partie I], Éditions de l’Académie des Sciences de l’URSS, Moscou, 1990, pp. 6-26.

>[33] Z. PORAKIŠVILI, Duxobory v Gruzii [Les Doukhobors en Géorgie], Éditions du CC du PC de la Géorgie, Tbilissi, 1970, p. 123.

[34] A. JAMSKOV, « Različija v professional’nom sostave ètničeskix grupp i migracii » [« Les différences de statut professionnel des groupes ethniques et les migrations »], in Russkie starožily Azerbajdžana. Materialy po ètničeskoj èkologii. Čast’ I [Les anciens habitants russes de l’Azerbaïdjan. Études sur l’écologie ethnique. Partie I], Éditions de l’Académie des Sciences de l’URSS, Moscou, 1990, pp. 51-60.

[35] Selon V. Kozlov, cet exode représente une manifestation extrême de « désadaptation » des sectateurs russes à la Transcaucasie. – V. KOZLOV, Russkie starožily … [Les anciens habitants russes …], op. cit., p. 173.

[36] Ibid, p. 173.

[37] V. STUPIŠIN, Moja missija v Armeniju 1992-1994 [Ma mission en Arménie. 1992-1994], Academia, Moscou, 2001, p. 281 (296).

[38] G. ASATRJAN, V. ARAKELOVA, Nacional’nye men’šinstva Armenii [Les minorités nationales en Arménie], Kavkazskij centr iranistiki, Erevan, 2002, p. 22.

>[39] A. KRINDAČ, « Borcy za dux iz Džavaxetii » [« Les lutteurs de l’esprit de la Djavakhétie »], Nezavisimaja gazeta, le 14 novembre 2001.

[40] H. LOHM, Dukhobors in Georgia : a Study of the Issue of Land Ownership and Inter-Ethnic Relations in Ninotsminda rayon (Samtskhe-Javakheti), European Centre of Minority Issues, Working Paper # 35, November 2006, p. 11.

[41] O. KOMAROVA, « Demografičeskaja xarakteristika … » [« Les caractéristiques démographiques … »], art. cit., pp. 6-26.

[43] Èxo, n° 134 (1123), le 16 juillet 2005.

[44] En règle générale, les Molokanes sont opposés aux mariages mixtes, y compris avec les Russes orthodoxes. Le divorce est également interdit.

[45] Noev kovčeg, n° 2 (72), février 2004.

[46] Delovoj ekspress, le 28 avril – le 4 mai, n° 15 (623), 2005.

[47] Voir Les Nouvelles d’Arménie, n° 61, février 2001, pp. 42 et 43.

[48] I. DOLŽENKO, « Russkaja diaspora Respubliki Armenija : sovremennoe sostojanie i perspektivy razvitija » [« La diaspora russe de la République d’Arménie : situation actuelle et perspectives de développement »], in Informacionno-analitičeskij bjulleten’ Instituta diaspory i integracii, n° 41, le 1er décembre 2001 (www.postman.ru).

[49] Armenia: International Religious Freedom Report 2006, (http://www.state.gov/g/drl/rls/irf/2006/71366.htm).

[50] AZERBAIJAN: Religious freedom survey June 2003, (http://lists.delfi.lv/pipermail/minelres/2005-September/004196.html)

[51] G. ASATRIAN, V. ARAKELOVA, Nacional’nye men’šinstva … [Les minorités nationales …], op. cit., p. 22.